Netanyahu ouvre les portes de la Knesset aux suprémacistes racistes juifs

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Le résultat final du scrutin législatif du 23 mars en Israël - le quatrième en deux ans - donne 30 sièges au Likud de Benyamin Netanyahu, soit 6 de moins que lors de l'élection précédente en mars 2020. Procédant à de savants calculs de différentes combinaisons, le quotidien Haaretz - ainsi que plusieurs autres journaux, avec des proportions légèrement différentes - estime que le bloc "pro-Netanyahu" ne rassemble que 52 sièges tandis que les "anti" affirmés à ce jour seraient au nombre de 57 avec à leur tête le "grand nouveau champion" le parti Yesh Atid avec 17 sièges, lequel ne pourrait rassembler que 45 soutiens selon les décomptes à l'issue des consultations du président israélien, Reuven Rivlin.

Dans ce contexte, et pour parer à toute éventualité, le fils aîné de Netanyahu, Yair a commencé à "twitter" sur l'air de Trump de "l'élection volée". Toutefois, s'il est un fait que le Premier ministre sortant n'a pas, pour le moment, de majorité gouvernementale, il est autant vrai que l'"opposition" qui brille par son caractère hétéroclite et même antagonique est loin de pouvoir s'unir autour d'un quelconque objectif commun si ce n'est, peut-être, de se débarrasser de Netanyahu.

L'apparence de ce scrutin, telle qu'elle est présentée généralement, est donc qu'il s'agissait d'un vote pour ou contre Netanyahu d'où, dit-on, avec une « absence de clivage gauche-droite », puisque l'on retrouve dans l’ « opposition » des partis de centre gauche comme Yesh Atid (ce qui reste de vague héritage du mouvement dit des tentes de 2011), de centre comme Kahol Lavan (Bleu-Blanc de Benny Ganz), des travaillistes, de la Liste jointe - à laquelle participe le Parti communiste israélien -, la Liste arabe unie - islamiste -, l'extrême droite nationaliste Ysrael Beiteinu et la droite religieuse comme le Shas.

Cette apparence recouvre, en fait, d'une chape de silence et d'occultation la question fondamentale de l'occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est et de l'emprisonnement de la Bande de Gaza. En l'absence de situation conflictuelle active susceptible d'inquiéter la population, le sort qu'il faudrait réserver aux territoires occupés n'a pas été un enjeu. La bantoustanisation de la Cisjordanie avec son cortège de crimes de guerre quotidiens, de spoliations de terres et d'exaction des colons n'a pas eu d'incidence sur le choix de vote de la très grande majorité des électeurs. C'est sur la négation de cette question existentielle - tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens - que le courant politique dominant a en quelque sorte fabriqué une « réalité alternative », virtuelle, sur laquelle Netanyahu vogue avec la désagrégation de la conscience politique de la grande masse des Israéliens. « Il me semble que nous avons perdu la boussole morale qui était avec nous depuis l’indépendance de l’État jusqu’à aujourd’hui. La boussole des principes et valeurs fondamentales que nous nous sommes engagés à défendre » avait déclaré Reuven Rivlin le 12 octobre dernier dans un discours à la Knesset.

Et c'est dans ce contexte de cécité collective dominante que le chef du Likud et ses acolytes d'autres formations se partagent le pouvoir depuis près de vingt ans qu'ils considèrent comme étant leur propriété de droit divin.

De ce fait, Netanyahu peut se targuer de plusieurs « succès ».

Il est ainsi parvenu à briser l'élan de l'un des plus sérieux espoirs de retrouver des projets d'avenir viables qu'incarne la Liste jointe, dirigée par le communiste Ayman Odeh, en ce sens qu'elle est l'expression progressiste d'une aspiration à la citoyenneté, à l'égalité de droits, des habitants palestiniens et juifs de l’État d'Israël.

Dès sa proclamation en 1948, les dirigeants de cet État ont systématiquement fait en sorte que cette exigence reconnue dans le document fondateur, ne soit pas mise en pratique dans la réalité. Les villes à majorité palestinienne ont été systématiquement victimes de sous-investissements de toutes sortes tant dans les domaines économiques, sociaux, politiques et notamment de sécurité publique. La révolte des communautés arabes (20 % de la population d'Israël) contre la multiplication des agressions et des assassinats, mais aussi, dans le même temps, leur aspiration à la citoyenneté à part entière avaient permis à la Liste jointe d'obtenir 15 sièges lors du scrutin du 2 mars 2020, la plaçant ainsi en troisième position à la Knesset et en capacité d'influer sur le processus législatif.

Ce qui était totalement insupportable pour la droite hégémonique.

Jouant à fond la démagogie selon laquelle il comprenait les colères des Palestiniens d’Israël et qu'il leur viendrait en aide, Netanyahu - l'année précédente, il avait hurlé au "coup de force arabe dans les bureaux de vote" - a courtisé les fractions les plus conservatrices de la communauté. Il a conforté Mansour Abbas et sa Liste arabe unie dans son choix de rompre son alliance avec la Liste unie pour se lancer, seul, dans la compétition électorale. Le numéro 2 de ce dernier, l'ex-maire de Sakhim, Mazen Ghanayim a affirmé que sa formation était prête à agir pour tout ce qui était bon pour sa clientèle et que son mouvement était prêt à s'allier avec quiconque allait dans le sens de l'amélioration des conditions de vie de son « public » et ceci même au niveau gouvernemental. Comme les partis ultra-orthodoxes juifs, pour qui la halakha doit être la loi suprême pour les Juifs, les chefs de la Liste arabe affirment que leur objectif est la mise en pratique de la charia par les Arabes. Ce courant existe de longue date : il se rattache directement à la mouvance des Frères musulmans (dont le Qatar est actuellement le protecteur) et s'appuie sur les éléments les plus traditionalistes et patriarcaux de la communauté palestinienne d'Israël. Mais son succès relatif repose également sur la colère de la communauté palestinienne contre les inégalités dont elle est victime.

Il semble en outre qu'une fraction de la jeunesse palestinienne peu politisée a voté pour la Liste arabe. Les accords Abraham de relations diplomatiques avec des monarchies du Golfe ont créé l'illusion d'une porte qui s'ouvrait enfin sur un monde arabe rêvé et interdit jusqu'à présent. Le vote contre ces accords par la Liste jointe a été exploité contre elle par Mansour Abbas.

Ceci étant, il est un fait, qu'à la faveur d'un revirement électoraliste, Netanyahu (qui s'est fait appeler "Abu Yair" - père de Yair - lors de sa tournée chez les communautés bédouines du Negev) a fait définitivement sauter un tabou non-dit - une bataille déjà menée avec succès lors du scrutin de l'an dernier par la Liste jointe - la négation par l'isolement politique du droit des Palestiniens d’Israël à une citoyenneté à part entière comme leurs compatriotes juifs. Mais il l'a fait de la pire manière en faisant élire quatre députés islamistes et en faisant croire à Mansour Abbas qu'il pourrait prétendre être un "faiseur de rois" au même titre que d'autres politiciens chasseurs de faveurs.

La "réussite" majeure de Netanyahu, en sa qualité de parrain du fondamentalisme intégriste juif, est d'avoir fait entrer dans la Knesset l’extrême droite raciste, antiféministe, anti-LGBT et fascisante juive en lui permettant d'obtenir 6 sièges (avec un septième au sein de sa propre liste, celui attribué à Ofir Sofer), ceci d'ailleurs au détriment des partis religieux "traditionnels" dont au moins 10% d'électeurs - habituellement captifs - jeunes ont "choisi la liberté". Ce faisant, cette nouvelle ultra-droite, dont l'idéologie est générée par le trumpisme - et largement financée par des structures libertariennes comme la fondation des frères Koch -, est devenue hégémonique dans l'opinion publique. Et dans un même mouvement "populiste", la culture politique des colons en Palestine occupée est devenue dominante et est agréée par la majorité de la société israélienne, soit 70% des électeurs. Dans ce sens, on peut d'ailleurs estimer que Netanyahu et consorts ont participé au parachèvement d'un processus enclenché par la conquête et l'occupation des territoires palestiniens et arabe lors de la guerre de 1967. Leur annexion définitive avec un statut d'apartheid pour les Palestiniens, est devenue une évidence "normale".

La "nouvelle" alliance comprenant des héritiers de l'organisation Kach se nomme désormais « le parti du sionisme religieux ». Prônant le suprémacisme juif et la déportation des Palestiniens, non seulement des territoires occupés mais aussi d'Israël - "la terre des Juifs de la Méditerranée au Jourdain" - ses chefs ont fêté leur succès d'une manière tonitruante. Itamar Ben Gvir l'un des deux chefs de l'alliance avec Bezalel Smotrich, est un disciple du rabbin Meïr Kahana, fondateur du parti raciste Kach. Cette formation avait été classée "terroriste" en Israël comme aux États-Unis après l'assassinat en 1994 de 29 Palestiniens dans le lieu saint juif et musulman, dit le "Tombeau d'Abraham", à Hébron, par l'un de ses disciples, Baruch Goldstein que Ben Gvir n'hésite pas à qualifier de "héros". En France, elle se manifeste sous le nom de Ligue de défense juive (LDJ).

Dès avant l'annonce des premiers résultats, Ben Gvir a proclamé que Netanyahu avait besoin de sa présence au gouvernement et qu'il souhaitait être le ministre de la Défense « de la Galilée et du Negev » - c'est-à-dire des régions essentiellement habitées par des Palestiniens d’Israël. Une fois élu, il a affirmé qu'il expulserait « uniquement » les Arabes « déloyaux » - autrement dit tous ceux qui ne feraient pas allégeance en prêtant serment à « l’État-nation juif » - tout en laissant entendre que l'on pourrait transformer ces zones en bantoustans puisque son objectif était de « protéger les résidents des zones périphériques qui souffrent d’une recrudescence non traitée de la criminalité arabe ». Il a été entendu : mercredi soir ses nervis ont vandalisé des dizaines de voitures de Palestiniens d’Israël à Kfar Qassem et "tagué" le slogan "l'expulsion ou la mort". Ce même 7 avril, à la veille de la commémoration mémorielle de la Shoah, s'adressant à la Knesset au député de la Liste jointe Ahmad Tibi, Bezalel Smotrich a affirmé : « Un vrai musulman doit savoir que la Terre d’Israël appartient au peuple juif, et (...) les Arabes comme vous qui ne le reconnaissent pas ne resteront pas ici. » « Du bist ein Rassist [Tu es un raciste] », lui a répondu Ahmad Tibi.

« Il n'y a plus de question palestinienne » est devenu un mot d'ordre largement popularisé. Et c'est là la troisième performance de Netanyahu. Dans l'immédiat, il projette ainsi de faire légaliser les « avant-postes » coloniaux en Cisjordanie. Il s'agit d'implantations, souvent construits en dur, de colonies que des sionistes religieux installent sur des terres appartenant à des Palestiniens qu'ils terrorisent sous le regard indulgent et complice des troupes d'occupation. Cette manière de reprendre de plus belle le processus d'annexion rampante est l'un des objectifs que Netanyahu va vendre aux partis qu'il courtise en échange d'une majorité à la Knesset. Ce qui, malheureusement, va de soi désormais pour l'opinion israélienne majoritaire, d'autant que les grands partis du « centre-gauche », trop couards de perdre des voix, sont restés totalement muets quant à la recherche d'une solution de paix et, éventuellement, de la coexistence de deux États. Un thème uniquement déployé par la Liste jointe qui s'est battue sur ces deux fronts intrinsèquement liés : la défense et la promotion des droits des Palestiniens d’Israël et celle de la fin de l'occupation des terres palestiniennes.

Pour les commentateurs reconnus médiatiquement, Netanyahu, par sa stratégie tous azimuts a participé à une sorte d’érosion (et de multiplication du nombre, treize actuellement) des partis à la Knesset - y compris le sien, en dégât collatéral - afin de ne pas avoir d'adversaire sérieux et, de ce fait, de pouvoir demeurer Premier ministre. Pour lui, il s'agit d'une obligation incontournable pour ne pas tomber dans la déchéance judiciaire du fait de multiples accusations de corruption. Ceci étant, la décomposition en un État illibéral - précurseur d'un État fasciste selon Haaretz - de ce qu'il est aujourd’hui encore, de bon ton d'appeler la démocratie israélienne, est bien en marche.

Le président Rivlin a désigné, mardi 6 avril, Netanyahu pour tenter de former un gouvernement. Ce faisant, ce personnage issu du Likud, accorde à « Bibi » quoi qu'on en dise, 28 jours de liberté d'initiative, auxquels il pourra ajouter deux semaines de plus. Le Premier ministre sortant est d'autant plus dangereux qu'il se sent en difficulté, alerte Haaretz : « Nous découvrirons un Netanyahu que nous n'avons jamais vu auparavant ; plus désespéré et dangereux que jamais, sans qu'on ait rien pour le maintenir sous contrôle. »

C'est ainsi que le bruit court que Netanyahu pourrait se faire nommer président de l’État par la Knesset. En effet, il se murmure à Tel Aviv que cette manœuvre - le mandat de 7 ans de Rivlin s'achève cet été - permettrait de lui ouvrir une "porte de sortie" tout en s'en débarrassant. Certains élèvent contre ce projet l'objection que « ce serait donner une bien piètre image d'Israël au reste du monde' », au point que le groupe travailliste (7 députés) vient de déposer un projet de loi pour contrer cette hypothèse. « Mais est-ce une préoccupation accessible aux fanatiques aveuglés majoritaires à la Knesset ? », répond-t-on.

Les semaines qui viennent vont être l'occasion d'un spectacle d’âpres et souvent sordides marchandages pour rassembler une majorité autour de Netanyahu. Le cas échéant, le premier acte du "roi d’Israël" sera de mettre fin à l'indépendance des juges suprêmes - à l'instar de ses collègues polonais et hongrois, Mateusz Morawiecki et Viktor Orban - afin de pouvoir se couvrir de l'immunité, en faisant voter une législation autorisant la Knesset à casser une décision de justice. Si Netanyahu échoue, ce sera le tour de Yair Lapid, le chef du deuxième parti de la Knesset, Yesh Atid. Il est déjà quasiment certain qu'il ne pourra pas rassembler une majorité face à l'arrogance de la droite extrémiste.

Ira-t-on alors vers un cinquième scrutin législatif ? Une coalition autour de Netanyahu serait-elle impensable ? comme croit pouvoir l'affirmer le Times of Israel en remarquant cependant : « Ajoutez à ce cauchemar ingouvernable le fait que cette nouvelle coalition comprend l’extrémiste kahaniste Itamar Ben Gvir et le militant anti-LGBT Avi Maoz, (du parti ultra-religeux Noam - ndr), deux représentants de la frange la plus radicale de la droite de la vie politique israélienne que Netanyahu a contribué à faire entrer au Parlement, et la « victoire » commence à ressembler à une déroute. »

Michel Muller
membre du Collectif Palestine du PCF