[NOTE] Elections législatives en Suède - 11 septembre 2022

 

2022

2018

Partis politiques

%

Sièges

%

Sièges

Parti social-démocrate 30,3

108

28,26

100

Verts 5,1

18

4,4

16

Parti du centre 6,7

24

8,61

31

Parti de gauche 6,7

24

8,0

28

Parti conservateur 19,1

68

19,84

70

Chrétiens-démocrates 5,3

11

6,32

22

Parti libéral 4,6

16

5,49

20

Démocrates suédois 20,5

73

17,53

62

 

Au total le bloc constitué par les sociaux-démocrates, les Verts, le Parti de gauche et le Parti du centre, forces de la gauche gouvernementale, obtient 48,88% de voix et 173 sièges.
Le bloc de droite constitué par les conservateurs, les démocrates-chrétiens et libéraux alliés à l’extrême droite obtient 49,63% et 176 sièges.
La participation a été de 84% (87,18% en 2018).

L’extrême droite aux portes du pouvoir

Les résultats des élections législatives en Suède marquent un tournant dans la vie politique du pays. La percée électorale d’un parti d’extrême droite aux origines néo-nazies, les « Démocrates suédois », (20,5% et 73 sièges ; 17,53% et 62 sièges), deviennent le deuxième parti du pays et surtout le premier à droite ; et leur possible association à terme à un gouvernement de droite conduit par les conservateurs constituerait un «  basculement historique » de la politique suédoise.

Les Démocrates suédois sont issus du mouvement néonazi suédois né à la fin des années 1980 (mais avec des racines plus anciennes) et, au fur et à mesure de leur progression au plan électoral et des vicissitudes de la vie politique, ils ont été progressivement acceptés comme partenaires de coalition, d’abord au plan local, par la droite conservatrice écartée du pouvoir depuis huit ans. Pourtant, même si les Démocrates suédois tentent de faire abstraction de leurs racines idéologiques racistes et fascistes, tout dans leur politique actuelle montre le contraire.

Avec l’aggravation au début des années 2010 de la crise du modèle suédois d’État-providence très largement déstructuré par les politiques néolibérales mises en œuvre par la droite et la social-démocratie ; en lien avec la dégradation de la situation au Moyen-Orient, en Afghanistan et dans la corne de l’Afrique, les crises migratoires et humanitaires induites et l’afflux des réfugiés de ces pays qui en a résulté ; le malaise social est allé croissant au sein de la société suédoise. Il a touché d’abord une jeunesse immigrée ayant de plus en plus de mal à s’intégrer. Depuis les premières émeutes dans la banlieue de Stockholm, à Husby en 2013 (violence raciste attisée par l’extrême droite, réaction d’exaspération d’une jeunesse de plus en plus marginalisée) ; ce malaise s’est exacerbé avec une politique d’accueil des migrants de plus en plus restrictive. L’extrême droite a prospéré au point que les questions sécuritaires et le rejet de l’immigration sont devenus-avec celle de l’adhésion du pays à l’OTAN , les thèmes dominants de la campagne électorale et constituent désormais le socle de la coopération entre la droite et l’extrême droite.

Il y a d’ailleurs une vision commune à toute l’extrême droite européenne : Rassemblement national en France, Fratelli d’Italia, Démocrates de Suède et autres partis ou groupuscules Identitaires, notamment dans les pays nordiques et jusqu’en Espagne et en Allemagne: ils partagent ensemble un certain nombre de valeurs, d’attitudes qui les orientent dans leur perception de la réalité dont la principale est l’idée d’un grand remplacement des blancs, comme en témoigne aujourd’hui l’exacerbation de leurs politiques anti-migrants (tryptique identité-sécurité-immigration) visant aujourd’hui prioritairement une immigration principalement de couleur et musulmane.

Le bloc de droite (conservateurs, chrétiens-démocrates, libéraux) en recul

Le parti conservateur (19,1% et 68 sièges ; 19,84% et 70 sièges) n’est pas en mesure de constituer un gouvernement ni même une majorité stables avec ses alliés chrétiens sociaux (5,3% et 11 sièges ; 6,32% et 22 sièges), libéraux (4,6% et 16 sièges ; 5,49% et 20 sièges), sans y associer l’extrême droite que cette dernière participe directement au gouvernement ou, ce qui est plus probable, qu’elle soutienne le gouvernement de l’extérieur mais en pesant encore plus sur les réformes à mettre en œuvre et en exigeant des postes de responsabilité importants dans les institutions.

Le Parti du centre représentant la paysannerie (6,7% et 24 sièges ; 8,61% et 31 sièges) recule nettement. Depuis quelques années, il s’est dissocié du bloc de droite du fait notamment de l’ouverture de celui-ci à l’extrême droite ; il a permis aux gouvernements sociaux-démocrates minoritaires de Stefan Löfven, puis de Magdalena Andersson de perdurer mais à condition qu’ils ne prennent pas en compte les orientations de ses alliés potentiels à gauche (Parti de gauche et Verts).

La coalition Rouge-Verte constituée par le Parti social-démocrate et les Verts et soutenue par le Parti de gauche, est en échec

Le parti social-démocrate (30,4% et 108 sièges ; 28,26% et 100 sièges) progresse mais reste à un niveau proche de ses minimas historiques. Le Parti social-démocrate a gouverné le pays depuis 2014, sans majorité au Parlement, s’appuyant essentiellement sur les Verts et en bénéficiant d’un soutien conditionnel du Parti de Gauche puis du Parti du centre.

Le Parti social-démocrate a certes mené campagne en tentant de contester l’ouverture de la droite à l’extrême droite (fin du cordon sanitaire) et les politiques régressives induites concernant l’immigration et l’ordre public. Mais dans le même temps le Parti social-démocrate a été mis en échec au Parlement en septembre 2021 au moment de la discussion budgétaire. Le Parti de gauche a conditionné son soutien à l’augmentation des pensions des petites retraites, ce qu’il a obtenu. Mais de ce fait, le Parti du centre a refusé son soutien au gouvernement qui a été contraint de poursuivre la législature en appliquant le budget préparé par l’opposition de droite et voté par le Parlement avec les votes de l’extrême droite. Plus généralement, le Parti social-démocrate a été incapable d’articuler des politiques de gauche crédibles dans un cadre d’un glissement progressif d’adaptation aux politiques néolibérales et aujourd’hui de plus en plus atlantistes avec l’entrée probable du pays dans l’OTAN que le Parti social-démocrate a accepté. Tout au long de ces huit années au pouvoir, les reculs de la social-démocratie suédoise (liés à l’évolution de la politique européenne), tout comme les reculs concernant la politique d’immigration et la fin de la politique de « neutralité » au plan de la politique extérieure, ont beaucoup pesé sur le basculement du pays vers la droite extrême.

Les Verts ( 5,1% et 18 sièges ; 4,4% et 16 sièges) progressent légèrement et parviennent à rester représentés au Parlement. Ils ont souffert de leur participation au gouvernement dans un cadre où leurs propositions pour faire face au changement climatique s’inséraient dans un cadre budgétaire très contraint. De ce fait ils ont été dans l’incapacité de trouver un nouveau souffle à travers le lien avec des mouvements sociaux beaucoup plus exigeants concernant notamment le changement climatique.

Le Parti de Gauche recule (6,7% et 24 sièges ; 8% et 28 sièges). Après les élections de 2018 où les sociaux–démocrates avaient formé un gouvernement minoritaire avec les Verts ; le Parti de gauche, au vu de la possibilité concrète pour la droite de revenir au pouvoir, a décidé de conditionner son soutien au gouvernement minoritaire à l’urgence de réformes sur le plan de la protection sociale notamment. Ce n’est pas la première fois que le Parti de gauche est confronté à cette situation et -il faut le souligner- les sociaux-démocrates ont toujours refusé d’associer le Parti de gauche au gouvernement.

Aujourd’hui, Nooshi Dadgostar, leur nouvelle présidente, a renouvelé cette disponibilité mais dans un contexte encore plus difficile de constant glissement des Sociaux-démocrates vers une partie de la droite et d’ouverture de la droite à l’extrême droite . « Nous avons besoin d’un nouveau paradigme dans lequel l’Etat assume un rôle majeur dans la restructuration de la société en favorisant la croissance et une protection sociale solides ». Dans ce contexte le Parti de gauche a réussi au Parlement à ce que le gouvernement écarte certains projets de régression sociale programmés par la droite et l’extrême droite, notamment la privatisation du marché locatif et la baisse des pensions de retraite. D’autres propositions du Parti de gauche concernant la relance du logement social ou la lutte contre la privatisation du système de santé ont permis au Parti de gauche de consolider voire de faire grandir son influence dans les banlieues des grandes villes du pays comme Stockholm, Göteborg ou Malmö, de nouer des liens plus fructueux avec les syndicats traditionnellement liés à la social-démocratie, tout en se renforçant parmi les jeunes progressistes métropolitains. Ce sont des acquis non négligeables alors que, dans le même temps, l’accent mis par le Parti de gauche sur d’autres objectifs pendant la campagne (ré-industrialisation du pays dans le cadre d’un programme d’investissements très ambitieux et respectant les critères environnementaux nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique) n’ont pas porté leurs fruits. En Suède, comme ailleurs en Europe, la question du lien entre les intérêts des populations urbaines des grandes villes et ceux des populations de la Suède profonde où l’extrême droite continue à élargir son influence, se pose de plus en plus.

En conséquence, les enjeux de la constitution d’un bloc social progressiste élargi, de son organisation et de son débouché politique (constituer des majorités politiques) concerne non seulement la gauche suédoise mais l’ensemble de la gauche européenne. Inverser durablement le cours des politiques néolibérales et mettre en œuvre des politiques de progrès aux contenus réellement transformateurs ; en prenant en compte la dimension européenne de ce combat ; tel est le défi alors que l’extrême droite s’affirme avec les énormes risques induits de dérives autoritaires et de régression sociale et démocratique pour les peuples.

José Cordon
Membre de la Commission des relations internationales-Europe du PCF