[NOTE] Portugal : Elections législatives du 30 janvier 2022

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  2019 2022
Partis % Sièges % Sièges

Parti socialiste

36,34

108

41,68

117

PSD (conservateurs)

27,76

79

27,8

71

Bloc de gauche

9,52

19

4,46

5

CDU (PCP-Les Verts)

6,33

12

4,39

6

CDS (droite)

4,22

5

1,47

5

PAN (personnes animaux nature)

3,32

4

1,53

1

CHEGA (extrême droite)

1,29

1

7,15

12

Initiative libérale

1,29

1

4,98

8

LIBRE (écosocialistes)

1,09

1

1,28

1

Participation : 57,96% (48,57% en 2019)

Le Parti socialiste avec 41,68% et 117 sièges remporte très largement ces élections et obtient la majorité absolue des sièges au Parlement. C’est ce qu’il recherchait en provoquant en coordination avec le Président de la République la tenue de nouvelles élections après le rejet du budget par la droite, le PCP et le Bloc de gauche. Certes cette majorité peut lui permettre de gouverner avec une plus grande stabilité au vu de la plus grande fragmentation des forces politiques au Parlement. Cela donne au gouvernement une plus grande latitude pour appliquer sa politique au cas par cas en s’appuyant soit sur sa gauche avec un PCP et un Bloc de gauche très affaiblis, soit en cherchant des accord plus larges incluant le PSD.

Avec 27,8 %, le PSD obtient un résultat légèrement inférieur à celui de 2019. L’opération largement préfabriquée par les instituts de sondages tendant à bi-polariser l’élection et à faire croire que la droite pouvait rattraper voire dépasser le PS s’est avérée totalement fallacieuse, l’écart entre le PS et le PSD étant au final de 13 points ! Cette opération a par contre favorisé le vote utile à gauche en faveur du PS car ces mêmes sondages ont mis en avant le risque de voir se constituer une possible alliance entre la droite et l’extrême droite ce qui est déjà le cas aux Açores. Le PSD a été affaibli sur sa droite avec le recul en pourcentage de son allié traditionnel du CDS en voie d’être absorbé par l’extrême droite et l’irruption significative des ultralibéraux d’Initiative libérale comme 4e force parlementaire avec près de 5% et 8 sièges.

La percée de CHEGA (ça suffit !) parti populiste ultralibéral d’extrême droite raciste et mysogine ) qui devient la 3e force parlementaire avec 7,15% et 12 sièges est inquiétante pour la démocratie portugaise. Son chef André Ventura avait obtenu 12% aux dernières élections présidentielles.

La CDU (Parti communiste-Les Verts) recule une nouvelle fois nettement avec 4,4% et 6 députés (6,33% et 12 sièges en 2019). Il réalise le résultat le plus bas de son histoire pour ce qui concerne des élections législatives. Il continue à perdre de l’influence dans l’Alentejo avec la perte de la circonscription d’Evora où le PCP avait gagné de justesse les dernières élections municipales. Le PCP souffre aussi des modifications structurelles de la société portugaise notamment avec la désindustrialisation accélérée notable non seulement dans la région de Lisbonne où le PCP concentrait beaucoup de son influence, mais également dans des villes de l’intérieur comme Portalegre ou Santarem où malgré une certaine résistance il perd ses députés. Les résultats du PCP sont également à analyser en tenant compte d’une abstention structurelle de l’électorat issu de couches le plus défavorisées de la population et de l’irruption récente de l’extrême droite et ce même si rien ne permet de dire qu’il y a un transfert de voix de l’électorat du PCP vers l’extrême droite.

Le recul est encore plus marqué pour le Bloc de gauche avec 4,46% et 5 sièges contre 9,52% et 19 sièges en 2019. Le Bloc semble –encore plus que le PCP- avoir souffert du vote utile de ses électeurs en faveur du PS du fait de la plus grande proximité de ses électeurs avec ce dernier.

A noter également que le taux de participation a progressé assez nettement par rapport à 2019 où il avait atteint son niveau le plus bas.
Comment en est-on arrivé là ?

En 2015 le Parti socialiste, le Bloc de gauche et le Parti communiste portugais signent séparément des accords leur permettant d’écarter du pouvoir la droite, pourtant sortie en tête des élections, et de s’engager ainsi pour la première fois depuis la révolution d’avril 1974 dans une alliance qualifiée dédaigneusement par la droite d’attelage « brinquebalant » (geringonça). Pas de participation du PCP et du Bloc de Gauche au Gouvernement ; ni même un accord de législature, mais un ensemble de mesures permettant d’engager le pays dans la voie d’une inversion de la politique d’austérité menée par la droite sous l’égide de la Troïka bruxelloise. Avec vérification de la feuille de route chaque année au moment de la discussion budgétaire.

En 2019, les rapports entre les partis de gauche se détériorent. La question du rythme de l’application des réformes commence à être posée par la gauche d’alternative. Le Parti socialiste gagne nettement les élections législatives mais sans majorité absolue. La CDU (PCP+ Verts) avec 6,33% et 12 sièges recule de deux points par rapport à son niveau de 2015 et perd cinq députés. Le Bloco recule légèrement avec 9,52% contre 10,16% gardant néanmoins ses 19 sièges.

Depuis le début de la nouvelle législature le PS s’écarte de plus en plus des accords signés en 2015 et décide de ne plus dépendre exclusivement des votes du PCP et du Bloco en faisant passer 60% des textes votés au Parlement au coup par coup avec l’appoint de la droite. Le budget 2021 est rejeté par le Bloco, le PCP s’abstenant prétextant le caractère exceptionnel de la pandémie.

En octobre 2021, la présentation du budget 2022 par l’exécutif socialiste révèle l’ampleur du fossé qui s’est creusé entre les trois partis de gauche.

Cette fois-ci le Parti communiste et le Bloc de gauche votent tous les deux contre le budget n’ayant pu obtenir un accord de fin de législature sur ses propositions en matière de sécurité sociale, de renforcement du système national de santé , d’augmentation suffisante des bas salaires, en commençant par le Smic et des pensions de retraite ; réforme du code du travail au vu du blocage par le patronat des conventions collectives.

Le PCP signalait l’urgence de combattre et d’éradiquer la pauvreté dont plusieurs études ont montré la persistance et l’aggravation dans le contexte de la pandémie ce qui a eu un fort impact notamment sur les femmes et les enfants. En 2020, 18% des personnes étaient menacées de pauvreté (+2% par rapport à 2019). Cet indicateur correspond à la proportion de personnes dont le revenu net par adulte est inférieur à 554 euros par mois. Une réalité qui a touché plus de 2,3 millions de Portugais en 2020. Injustices également dans la répartition des richesses. En 2020, 56% de la richesse totale était entre les mains des 1% le plus riches. Si le débat s’est focalisé sur le rythme de l’augmentation du montant du salaire minimum (actuellement 705 euros sur 12 mois, parmi les plus bas des pays de l’UE) ; le PCP constate aussi les inégalités d’accès à d’importants services publics et leur financement insuffisant alors que le gouvernement favorise les entreprises privées comme dans le domaine de la santé ou de l’accompagnement des personnes âgées. Nul maximalisme donc dans les propositions de la gauche d’alternative pour prendre en compte cette situation d’urgence sociale, mais des propositions précises, urgentes et nécessaires, surtout dans un contexte où il faut faire des choix cruciaux concernant l’utilisation de la première tranche de 16 milliards d’euros sur les 45 milliards alloués au Portugal dans le cadre du fonds de relance européen. Mais on sait bien qu’au Portugal comme ailleurs en Europe, il y a un important enjeu sur l’utilisation de ces fonds. Où ira l’argent ? Va-t-on continuer à faire pression pour limiter la dépense publique et utiliser l’argent au nom du respect des critères de « bonne tenue des comptes publics », critères de Maastricht aujourd’hui certes partiellement mis en sourdine par les décisions prises par les gouvernements pendant la pandémie mais loin d’avoir été abandonnés.

José Cordon
Commission des relations internationales-Europe