Présidentielle : réponse au questionnaire de Coordination Sud

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Les réponses de Fabien Roussel,
candidat du Parti communiste français (PCF)

Partie 1 : Les actions que vous et votre gouvernement mettrez en œuvre pour respecter les engagements de la loi de développement solidaire et aller au-delà et renforcer le partenariat avec la société civile.

Question 1 : La France consacrera 0,7 % de son RNB a l’APD en 2025, comment porterez-vous cet engagement sur l’ensemble du quinquennat ?

► Je tiens à rappeler tout d'abord que l'engagement international de consacrer 0,7 % du PIB à l'Aide publique au développement (APD) date de 1970 ! Or la France, à la fin du quinquennat Macron, aura péniblement atteint environ 0,55 % du PIB – derrière la Suède, la Norvège, le Luxembourg, le Danemark, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas ! Quant à la réforme de l'APD, elle prévoit prudemment que la France « s'efforcera d'atteindre 0,7 % de son revenu national brut » en 2025. Il serait temps ! Les populations qui en ont besoin deviennent de jour en jour plus nombreuses.

Le programme des communistes pour le mandat 2022-2027 consiste à remettre l’engagement des 0,7 % au cœur de la politique française d’APD pour deux raisons. La première raison est la plus symbolique : le gouvernement communiste sera le gouvernement qui respectera tous les engagements internationaux de la France,et qui sera le plus respectueux du droit international. Ainsi, se conformer à un engagement international pris en 1970 est absolument nécessaire. D’autre part, les 0,7 % seront respectés et d’une manière beaucoup plus stable que ce qui est aujourd’hui prôné. Il s’agira d’établir précisément, avec tous les acteurs de l’APD, une somme en valeur absolue, et non relative, qui correspondra à 0,7 % du PIB de 2022, et s'astreindre à une montée en puissance régulière. Cela permettra de mettre à l’abri le secteur de l’Aide publique au développement en cas de chute du PIB durant le quinquennat.

Outre l'exigence vitale d'une augmentation de l'APD se pose la question de son caractère désintéressé. La solidarité avec les victimes de la grande pauvreté doit clairement l'emporter sur l'intérêt mercantile de la France dans le pays concerné.

L'APD ne doit pas être soumise à des aléas liés à la politique étrangère du pays donateur, en l'occurrence la France ; encore moins à de sombres marchandages, au mépris des droits humains en d'autres domaines comme par exemple en matière de palliatifs à la crise de l'accueil des migrants en Europe.

Le seul objectif doit demeurer constamment la coopération avec pour but l'émergence des capacités endogènes de développement des peuples concernés. Il s'ensuit une troisième exigence, incontournable : celle d'associer à la gestion de l'APD ses acteurs let bénéficiaires.

 

Question 2 : La France reste le troisième pays prêteur d’APD après le Japon et la Corée. Certains pays allouent me me l’entièreté de l’APD sous forme de dons. Rééquilibrerez-vous la balance entre le prêt et le don dans l’APD ?

► Nous faisons nôtre le principe de Thomas Sankara d'encourager « l’aide qui aide à se passer de l’aide ». Une fois posé ce principe – qui guide toute notre politique en matière d'APD – l’équilibre prêt/don dans l'aide publique française au développement est effectivement ridicule et les parlementaires communistes n’ont cessé de le dénoncer dans toutes les instances légitimes.

Notre programme est très clair : ce sont des dons qu’il faut, de manière à ne pas créer de dépendance des États aidés. Nous proposons de suivre les conseils des ONG visant à établir un objectif de 85 % de dons. Toutefois, il faudra mettre en place une large concertation avant de prendre cette décision de manière claire afin de ne pas déstabiliser les prêts en cours et que la France puisse se retirer de ses engagements sans risquer de mettre en danger des États ou des peuples qui comptaient sur ces prêts. Il s’agira donc d’établir un plan de rééquilibrage qu’il faudra mettre en œuvre peu à peu, en écoutant les besoins de chaque acteur.

La question des prêts et des aides financières sera portée par la France dans les instances internationales, notamment le Fonds monétaire international (FMI) à travers une volonté de la France de faire des droits de tirage spéciaux (DTS) un contrepoids au dollar sur la scène internationale et permettre ainsi un financement facilité pour les économies des États les plus fragiles. Il faudrait agir sans tarder pour mettre à disposition de ces pays des DTS, de manière beaucoup plus importante que cela ne se fait actuellement.

Il s’agira aussi de modifier en profondeur la question du financement des États à l’échelle mondiale et de réviser le mode de calcul des quotes-parts de DTS, lequel désavantage les pays qui en ont le plus besoin et avantage ceux qui mettent en cause leurs services publics alors que, plus que jamais, ces derniers démontrent leur utilité, notamment face à la crise sanitaire actuelle. Il serait effectivement avantageux de changer le fonctionnement du FMI afin que les critères d'allocation
des DTS visent à atténuer l'impact à moyen et long terme des vulnérabilités structurelles des pays du Sud et à accroître la résilience à l'égard de chocs futurs éventuels.

Cette création monétaire, appuyant dans chaque pays celle de banques centrales, sera destinée à des avances a très long terme, et à taux très bas, pour financer des projets répondant aux besoins de développement des biens communs et de l’emploi.

 

Question 3 : Les services sociaux (tels que la santé , l’éducation, l’alimentation, l’accès à l’eau et a l’assainissement, la protection sociale) ne bénéficient seulement que d’un quart de l’APD franc aise. Comment inverserez-vous la tendance face à ce constat ?

► Le programme du candidat communiste que je suis prône une priorité, celle de l’indépendance des États, de leur consolidation et au développement économique endogène au service du progrès social et des droits humains. De ce fait, notre première priorité est celle du soutien à la mise en place d’institutions publiques fortes permettant d’avoir un Etat-civil, un cadastre et des services fiscaux et douaniers puissants pour favoriser un tissu économique qui contribue à la juste hauteur à la satisfaction des besoins collectifs. L’aide ira donc en priorité à la construction des États, afin qu’il puisse lever eux-mêmes l’impôt et qu’ils puissent établir un rapport de force plus important face aux entreprises multinationales. Le taux d’impôts sur les entreprises en Afrique est dérisoire et les flux financiers illicites sont, eux, équivalents à l’Aide publique au développement.

Notre deuxième priorité de l’APD dans le cadre d’un gouvernement que nous dirigerions ou auquel nous participerions sera de veiller à la mise en place de services sociaux de base. Nous appuierons toutes les initiatives visant à mettre en œuvre ces services via les services publics, afin qu’ils soient mis en place puis financés par les États eux-mêmes, en fonction de leurs propres priorités, en toute indépendance.

J'ajoute que je me propose de flécher 50 % de l’APD vers les services sociaux de base, et notamment la santé et l’éducation aux bénéfices des femmes et jeunes filles. D'ailleurs, notre participation à la bataille pour la levée des brevets sur les vaccins contre le COVID s'inscrit dans notre volonté d'une France qui s'engage plus activement dans le combat contre les inégalités vertigineuses d’accès aux vaccins qui affectent d'abord les femmes dans les pays les plus pauvres
du monde.

Dans les États où les services de base sont défaillants voire inexistants, la France devra porter assistance de la manière la plus efficace possible, en ne tenant compte que de l’urgence, et non de la zone d’influence ou de la langue parlée par l’État en question.

La France ne soutiendra plus les « pays pauvres prioritaires » qui ne sont que francophones et qui ne sont que des États placés dans la sphère d’influence française. Nous arrêterons de créer une « redevabilité » de l’aide publique au développement française. Nous aiderons les peuples qui souffrent sans autre boussole que d'aider à répondre aux besoins humains et sociaux. C'est un levier des plus efficaces en termes de sécurité humaine tant locale que globale.



Question 4 : En matière de genre, comment rehausserez-vous les cibles d’APD ayant comme objectif principal l’égalité femmes-hommes pour atteindre les recommandations du Comite d’Aide au Développement de l’OCDE et du Gender Action Plan de l’Union européenne ?

► La réflexion sur l’égalité femmes-hommes constitue l’un des rares chantiers sur lesquels la politique internationale de la France a relativement bien avancé (peut-être même mieux qu'en France même à certains égards) mais il faut approfondir cette réflexion et le faire non pas en imposant (ou pire pour en faire un instrument d’influence) mais bien en concertation et à l'écoute des femmes de ces pays et de leurs représentantes. Et s'il ressort de ces concertations que les catégories définies par l’OCDE ou l’UE sont erronées ou incomplètes, nous agirons avec détermination pour que cela change.

De plus, j'entends porter concrètement à un des rangs prioritaires de notre diplomatie et politique internationale l'objectif n°5 des 17 Objectifs de développement durable (ODD) adoptés en 2015 par l'Assemblée générale des Nations unies : « Parvenir à l’égalité des sexes ».

Cela signifie d'abord pérenniser, dans le cadre de notre APD, le Fonds de soutien aux organisations féministes ; étendre les cadres multilatéraux existants et abonder plus significativement la dimension féministe de notre APD pour la porter à 85 % de l'APD bilatérale ainsi que flécher l'appui de la coopération française aux projets, politiques et lois de promotion des droits des femmes dans le monde.

 

Question 5 : En 2022, 274 millions de personnes auront besoin d’aide humanitaire et de protection. Cependant de nombreuses contraintes affectent l’action humanitaire, et de plus en plus des risques pèsent sur les personnels et les populations civiles. Quelles actions porterez-vous en priorité pour assurer la préservation de l’espace humanitaire ?

► La préservation de l’espace humanitaire est pour nous un sujet de très grande préoccupation car cet espace se réduit à mesure que le respect du droit international se réduit lui-même – et les violations du droit international se généralisent, de la part d'États comme de groupes d'individus. Les travailleurs humanitaires sont alors des cibles, voire des otages, « parfaits » pour les entrepreneurs de violence de toutes sortes y compris en temps de guerre comme on le voit encore dans la guerre en Ukraine ces jours-ci, et comme on l'a vu bien trop souvent en Afghanistan ou même, dans un autre contexte encore, en Palestine. Il faut mettre à plat cette situation et de faire évoluer le cadre légal international afin de mieux protéger ces personnes qui donnent parfois jusqu’à leur vie pour celle des autres.

D’autre part, l’espace humanitaire n’est pas qu’un « terrain d'action », il est aussi une dimension (juridique par exemple) de prévention des conflits. Et la France doit enfin reprendre toute sa place au cœur de la réaffirmation du droit international au bénéfice de tous les peuples et s'imposant à tous les États et individus – il est impératif de rompre et même de combattre la logique du « deux poids-deux mesures ».

L'un de mes principaux et premiers engagements sera d'avancer significativement dans les différentes négociations en cours visant à limiter l’usage de certains types d’armes : systèmes d’armes létales autonomes, nucléaires via le TIAN, ou encore sur le processus visant à limiter l’usage d’armes explosives en zone peuplée notamment. Cela passera par un renforcement des équipes diplomatiques à la Conférence du désarmement à Genève, et en particulier la Convention
sur certaines armes classiques.

Enfin, notre diplomatie devra revenir reviendra sur la tendance dangereuse au « criblage » des organisations humanitaires afin de leur permettre d’agir plus librement.

 

Question 6 : 84 % des Franc aises et des Français s’inquiètent du changement climatique et le dernier rapport du GIEC dresse a nouveau un constat urgent. Quelles sont vos propositions, au niveau de l’action internationale de la France, pour garantir le respect de l’Accord de Paris et limiter le réchauffement a +1,5°C ?

► La première des actions diplomatiques d’ampleur de la France consistera à reprendre tous les accords internationaux et à les relire à la lumière des Accords de Paris. Beaucoup d’accords, notamment de libre-échange, devront être dénoncés, puis renégociés. Cela permet d’engager concrètement la diplomatie française dans un travail exhaustif de ce qu’elle a signé.

Il est indispensable de maintenir les COP que certains veulent délaisser au prétexte que leurs avancées sont insuffisantes. Leurs rôles restent très utiles tant pour le nécessaire dialogue  international que pour la recherche de solutions communes. Des accords globaux plus efficients sont possibles lors des COP à condition de dégager une vision solidaire du développement humain durable à l'échelle du monde sur la base de décisions qui doivent être contraignantes pour les États mais différenciées et fondées sur des principes de solidarité et d'équité. En effet, la réduction des émissions de GES de chaque pays doit tenir compte de leurs réalités comme de leur projet de développement. Il faut limiter considérablement la présence des lobbies qui freinent l’engagement des États. On a recensé plus de 500 lobbies des énergies fossiles lors de la dernière COP climat à Glasgow. Les engagements doivent être tenus comme la création d’un fonds vert de 100 milliards de dollars par an.

Dans l’urgence au niveau international, il faudra impérativement aider les États à se préparer aux bouleversements climatiques… Plus généralement le défi sera de faire prévaloir un changement de logique, de concilier intimement transition écologique et justice sociale. Dans cette logique il faut d’ailleurs sortir d’une conception de l'Afrique comme étant le réceptacle de nos déchets et des produits de seconde main. Cela passe par un changement de notre législation et le développement de filières de recyclage et de démantèlement en France et d’un transfert, dans ce domaine comme dans d’autres, de technologies.

C’est au Sud, là où les effets se font le plus durement sentir, que les populations souffrent le plus du réchauffement climatique. Or ces pays ne sont pas responsables de la situation en comparaison des pays riches et industrialisés. L’engagement de ces derniers de verser de 100 milliards de dollars par an décidé à Copenhague en 2009, réaffirmé à Paris en 2015, doit être enfin concrétisé. Il n’a pas été atteint à Glasgow. À peine 80 milliards constitués pour beaucoup de prêts (ce qui renforcera la dette des PED). Leur affectation ne couvre que 20 % des besoins d’adaptation. Selon un rapport du PNUE, les besoins des pays du Sud sont de 5 à 10 fois supérieurs. Comme préconisé par le PNUE, nous mettrons en débat la nécessité de porter le Fonds vert à 300 milliards d’ici à 2030 puis de 500 milliards en 2050.

C’est en application de cette approche que nous proposons que l’aide publique au développement, fondée sur les besoins des pays récipiendaires, soit portée à 0,7 % de la richesse nationale et qu’elle soit suivie efficacement et démocratiquement, en toute transparence. Cela s’accompagnera de mesures visant à élargir de 0,3 % à 0,5 % l’assiette de la taxe sur les transactions financières servant au financement de cette aide. Nous proposons également dans cette logique que 10 % de l’APD soit consacré à renforcer les systèmes fiscaux des pays bénéficiaires dans une logique de mobilisation des ressources internes de ces pays. Notons à ce sujet que la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) rappelle que, pour se développer, les pays ont besoin d'accroître les dépenses publiques consacrées aux infrastructures, aux services de base et aux transferts sociaux.

Nous voulons donner aux citoyen-ne-s, comme aux salarié-e-s, des droits nouveaux d’information, de contrôle et d’intervention pour décider de leur avenir. Nous créerons une « Convention citoyenne climat » permanente dont les membres seront renouvelé-e-s tous les deux ans. Elle sera chargée, entre autres, d’évaluer les retards et les avancées de la France en matière de réduction des GES, avec le concours du Haut-commissariat au climat, du GIEC, de l'IPBES... Un
fonds écologique et social, pour un Pacte climat et emploi, d’un montant de 140 milliards par an (au moins 6 % de la richesse publique), sera créé et abondé par l’État, les entreprises et la création monétaire. Il contribuera, par exemple, à financer les réalisations de la loi de programmation en faveur de la rénovation des logements et des bâtiments ou bien les investissements en matière de transports ferroviaires.



Question 7 : Les organisations de la société civile et les ONG sont des actrices incontournables  de terrain. Comment renforcerez-vous le dialogue avec la société civile, en particulier les ONG, dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de la politique de développement solidaire de la France ?

► Aujourd’hui, avec son « conseil de développement », avec le CNDSI, avec l’AFD et ses différents conseils sans compter les différentes instances mises en place par la dernière LOPDSLIM, la concertation autour de l’Aide publique au développement est devenue totalement illisible.

Nous voulons revaloriser la politique d’aide publique au développement et la rendre claire : un ministère sera en charge de l’APD, un seul conseil réunissant les représentants des ONG, les OSC, les techniciens des ministères intégrés (Bercy, Quai d’Orsay et ministère de l’APD), les élus parlementaires et les représentants des collectivités qui mènent des actions de coopération décentralisée, mais également des représentants des pays partenaires et bénéficiaires. Cette instance sera permanente et instaurera de ce fait un dialogue sur le long terme afin de concevoir et mettre en œuvre les politiques publiques et de les évaluer par la suite.

Enfin, nous simplifierons largement le financement des ONG, en mettant un frein très fort à la gouvernance par appels à projets – tout comme tous les milieux associatifs d’ailleurs. Ce mode de gouvernance extrêmement technocratique ralentit et rend inefficient beaucoup de projets, à commencer par les plus petits projets, qui pourtant, en étant très ciblés, peuvent être très utiles.

 

Question 8 : Quelles actions votre gouvernement mettra-t-il en place pour favoriser la participation des organisations de jeunes, organisations féministes, organisations des pays partenaires… ?

► L’instance décrite à la question 7, en étant permanente, pourra tout à fait intégrer, de manière permanente, ou temporaire à l’occasion d’auditions spécifiques n’importe quelle organisation. De ce fait, la liberté d’action de ce conseil sera garantie et permettra à ce secteur de prendre des décisions et d’agir dans le cadre fixé au préalable par le législatif et l’exécutif, à savoir les cibles géographiques (PMA et non PPP), financières (cibles don-prêt, 0,7 %, augmentation financement APD via ONG, etc.) et politiques (création et renforcement des États et de leur fiscalité, et services publics sociaux de base).

Nous proposons en outre que la France agisse pour l'organisation, sous égide de l’ONU, d’une COP (Conférence of Parties) mondiale pour la justice sociale et fiscale. Son objectif sera d’instaurer une instance permanente de coopération et de régulation fiscale internationale.

 

Question 9 : La France est un des pays du Comite d’Aide au Développement de l’OCDE qui finance le moins les organisations de la société civile. Coordination SUD demande 2milliards d’euros a l’horizon2027, comment atteindrez-vous cet objectif ?

► Le faible montant de l’APD qui transite par les ONG en France est un véritable scandale. Il est le fruit d’une histoire française où l’administration se méfie de ces organisations indépendantes. Mais il est temps de tourner la page de cette méfiance et d’avancer enfin vers une confiance mutuelle. L’objectif de 2 milliards semble une base de réflexion très intéressante. C’est un objectif que les communistes soutiennent afin de réorienter et d’autonomiser l’action d’APD et humanitaire de la France.

Mais là encore, tout cela devra être fait en concertation via le ministère de l’APD et du conseil décrit plus haut. Pour autant l’État devra jouer son rôle à plein et ne saurait « sous-traité » sa responsabilité d'aide publique au développement aux ONG.

 

Question 10 : Le dispositif Initiative Organisations de la Société Civile de l’AFD (I-OSC) est prévu par la France pour financer les initiatives des organisations de la Société civile, mais il reste sous finance . Coordination SUD revendique 70% de l’APD transitant par les OSC pour financer leurs initiatives. Comment votre gouvernement rehaussera le financement alloue a ce droit d’initiative ?

► Le droit d’initiative est fondamental, nous en sommes convaincus. Nous commencerons à le renforcer, comme dit précédemment, en limitant très fortement le financement par appel à projets.

S’agissant de la cible à 70 %, c’est une cible qui pourrait être intéressante mais, là encore, il faudra prévoir une réflexion collective autour de cette cible et, si elle est collectivement validée, prévoir une trajectoire afin de ne pas bouleverser les engagements préalables. Toute mesure prise en la matière est subordonné à notre objectif énoncé plus haut que l’aide ne doit pas entretenir la dépendance, serait-ce de manière moins douloureuse mais qu’elle doit bien viser à en sortir.

 

Question 11 : Comment envisagez-vous les rapports Nord-Sud dans le monde actuel ?

► Les rapports Nord-Sud sont extrêmement asymétriques, et nous avons conscience que les pays les plus riches font preuve d’une suffisance insupportable pour nombre d’États d'Amérique latine, Asie ou Afrique. Cette suffisance se traduit par un respect à géométrie très variable du droit  international, par une indignation sélective face aux crises dans le monde – celles créées par les « alliés » étant systématiquement moins graves que celles créées par les « adversaires » ou
rivaux.

L’aspiration des peuples, notamment africains, à exercer concrètement leurs pleines souverainetés économique, monétaire et stratégique et leur intégrité territoriale est plus que légitime et nous la soutenons de toutes nos forces. C’est pourquoi, nous engagerons un processus de fermeture des bases militaires françaises en Afrique et au Moyen-Orient ainsi que le retrait concerté de nos troupes du Sahel, notamment, et la fin du franc CFA dit ECO.

D’autre part, les États ayant de moins en moins le monopole de l’action internationale et les multinationales étant de plus en plus puissantes, les rapports Nord-Sud sont de plus en plus inégalitaires avec des entreprises multinationales qui viennent piller les richesses des États du Sud, sans payer d’impôt en retour, et les États du Nord vivent – encore – confortablement grâce à l’exploitation des États du Sud.

Cette situation doit cesser et être renversée en deux actions : la première consiste à faire en sorte que la France retrouve son crédit diplomatique en faisant du respect du droit international l’alpha et l’oméga de sa politique internationale et en créant les conditions, à travers son APD, d’un renforcement des institutions des États les plus pauvres afin qu’ils puissent collecter des multinationales les taxes et impôts dont ces dernières leur sont redevables.

En outre, la France fera de la lutte contre la fiscalité illégale (flux financiers illicites, évitement et évasion fiscale) l’un des chevaux de bataille majeurs à l'échelle internationale afin de rétablir à moyen terme les bases d'une justice fiscale mondiale.

Enfin, la France s'engagera dans un processus de réforme démocratique des Nations unies afin de libérer le multilatéralisme du poids des puissances et renforcer cet espace diplomatique sans équivalent afin de faire entendre la voix de tous les peuples, à égalité et dans le respect mutuel.

La stratégie de la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, devrait dès lors porter trois objectifs : une « démocratisation » de ces institutions ; le renforcement des moyens humains et financiers alloués aux agences et opérateurs onusiens au service du développement de la culture de la paix ; le renforcement du caractère contraignant des COP et des résolutions adoptées en AG sur le front de la lutte contre les inégalités et pour les droits humains et sociaux.
Des réformes profondes du FMI et de la Banque mondiale seront aujourd'hui indispensables.

Les grandes puissances ont une vision hiérarchique de l'ordre international ; elles ont mis en place des clubs restreints (G7 ou G20) hors de tout cadre onusien pour s'assurer une prééminence sur un ordre mondial qu'elles veulent centré sur leur propre sécurité nationale et leurs uniques intérêts nationaux. Or les intérêts d'une nation s'inscrivent désormais une mondialisation dont l'une des caractéristiques est une interdépendance qui va en se renforçant et qui peut devenir un ferment de solidarité entre les peuples plutôt que de leur mise en concurrence.

Par conséquent, la France se positionnera comme un État qui œuvre pour la paix et la culture de paix qui vise la sécurité humaine collective : un État qui s'émancipe des logiques d'alliances opportunistes au profit de partenariats bi- et multilatéraux permettant de créer des cadres communs de coopération et de sécurité collective inclusifs.

 

Question 12 : Les droits humains sont au cœur de la Constitution franc aise et de l’organisation des Nations-Unies. Lutter efficacement contre les inégalités et la pauvreté suppose une prise en compte du fait que les impacts des crises pèsent en premier lieu sur les populations les plus vulnérables. Comment de fendrez-vous les droits humains au sein de la politique internationale de la France ?

► Le plein respect des droits humains, sociaux, politiques, culturels, économiques et écologiques fonde la sécurité humaine collective dont l'accès universel doit être garanti à chaque être humain  et à tous les peuples.

Promouvoir l’État de droit, la démocratie, les droits humains, sociaux, écologiques et les libertés fondamentales impliquent le respect absolu du droit international partout, par tous et pour tous, c'est ce qui doit fonder notre politique internationale sans exception. Mais l'ordre international n'est pas l'incarnation de la Charte de l'ONU, il est au contraire la manifestation du manque de mise en œuvre de ses principes et règles. Les institutions multilatérales sont bafouées trop souvent. Elles
viennent encore de l'être, éhontément, par la Russie en Ukraine ; c'est inacceptable et ce n'est certainement pas le moment de renoncer à la Charte de l'ONU.

Aucun État, aucun régime, pas même la première puissance mondiale, ne peut se considérer exempte de ce principe sur lequel est fondé la Charte des Nations unies. Or ces dernières années une sorte de « culture de l'impunité » s'est distillée dans les gouvernances de nombreux États, grandes et moyennes puissances ; encourageant et protégeant par ailleurs des régimes  corrompus, autocratique, dictatoriaux dans leurs zones d'influence.

Mais dans le même temps, des mouvements populaires se sont levés dans de nombreux pays contre ces dérives qui touchent aux politiques nationales comme internationales. L'espoir vient de ces mobilisations.

La France doit participer à la mise en œuvre des engagements pris la communauté internationale pour la résolution de conflits qui n'ont que trop duré et qui plongent des peuples entiers, des générations de jeunes, dans l'humiliation et les frustrations.

Je pense particulièrement à l'exigence de l’organisation d’un référendum d’autodétermination au Sahara occidental, la reconnaissance aux côtés d'Israël, d’un État palestinien dans les frontières de 1967 et Jérusalem-Est pour capitale assortie de l'arrêt de la colonisation et de l'occupation des territoires palestiniens, et de la politique d’apartheid en Israël. Il faut être aussi aux côtés des peuples qui défendent la paix, la démocratie la défense des droits culturels et politiques comme les Kurdes de Turquie et de Syrie qui subissent les agressions de R.T. Erdogan. Cela passe aussi par la levée du blocus vieux de 60 ans, imposé unilatéralement et en toute illégalité par les USA, sur le peuple cubain. Les politiques de sanctions – aujourd'hui imposées de manière ciblées par les grandes puissances qui par ailleurs confortent des régimes dont les politiques sont passibles de sanctions internationales – doivent constituer un dernier recours quand toutes les voies de la diplomatie ont effectivement été explorées ou quand des crimes de masse sont perpétuées par des États violents car sinon elles attisent les souffrances populaires et confortent le plus souvent les dictatures qu'elles prétendent viser. Sur ce chapitre, et comme le souhaitent 88 % des Français interrogés en 2018, la France doit cesser de vendre des armes aux régimes qui les utilisent dans cette « sale guerre » du Yémen et pour réprimer leur propre peuple, comme le fait le régime égyptien d'Al-Sissi.

Enfin, notre pays devra prendre l'initiative de la promotion des droits humains au travail à travers un renforcement de la présence française à l’Organisation internationale du travail, un appui au renforcement de l'OIT elle-même, et à travers un engagement dans le renforcement de notre législation visant à rendre responsabiliser et sanctionner le cas échéant les entreprises au moyen de l'adoption d'un « devoir de vigilance ». C'est un enjeu considérable que de faire respecter par
les entreprises, tout au long des chaînes de valeur mondiales, les droits humains fondamentaux ainsi que les règles de protection de l’environnement tels qu’édictés par les conventions internationales concernées. Nous sommes favorables à cette responsabilisation des entreprises. Un projet de directive sur ce sujet est en cours de discussion au sein des institutions européennes et nous soutiendrons les dispositions renforçant ce devoir de vigilance.

 

Partie 2 : Partagez-nous votre vision de la Solidarité internationale et des enjeux locaux-globaux

 

Question 13 : La France a adopte une stratégie de diplomatie féministe. Comment vous et votre gouvernement portera-t-il cette vision en particulier dans la politique d’aide au développement ?

► La stratégie de diplomatie féministe engagée par l’actuel ministre des Affaires étrangères fonctionne relativement bien mais sur un plan symbolique. Il manque encore cruellement de femmes à des postes clés dans les plus hautes instances diplomatiques, et le « plafond de verre », en diplomatie comme partout ailleurs, existe bel et bien.

Nous nous proposerons donc de reprendre cette initiative en la renforçant et en faisant en sorte de féminiser la diplomatie dans les faits, et non pas uniquement dans les discours. L’État doit encourager une politique plus volontaire de féminisation de notre diplomatie et respecter lui-même l'obligation légale d'égalité salariale, je m'y engage.

 

Question 14 : Le développement, la lutte contre les inégalités, les enjeux sanitaires, environnementaux, climatiques, économiques et sociaux sont inextricablement liés. Comment votre gouvernement veillera a la cohérence entre l’ensemble des politiques publiques nationales avec les objectifs de la LOP-DSLIM ?

► Il s'agit de porter une vision nouvelle du monde et des transformations à venir, de changer même de logiciel dans nos analyses et la définition de notre politique internationale. La France est une puissance mondialisée qui peut contribuer à faire émerger un ordre global profitable à tous les peuples et dont chacun, et donc elle aussi, retire un maximum d'avantages. C'est un changement de civilisation. Il faut tourner la page des siècles de domination et de politique d'hégémonie. Cela ne se fera pas d'un coup de baguette magique, ni « d'en haut » exclusivement : il faudra une volonté politique issue des mobilisations des citoyen-ne-s et de leur engagement, de leur participation à la mise en œuvre des décisions politiques et l'exercice de leur pouvoir de contrôle.

Nous pourrions dès aujourd'hui en jeter les bases en faisant évoluer le ministère des Affaires étrangères et européennes pour qu'il devienne un ministère de politique internationale qui intègre dans ses missions propres une ambitieuse politique de co-développement, de coopération et de solidarité internationale et européenne – et qui devra en outre travailler plus étroitement et en permanence avec les ministères dont le champ de compétence est d'abord national mais de moins en moins uniquement du fait du développement de la mondialisation et des interdépendances (économiques en particulier), des grands défis globaux qui touchent leur domaine et de l'impérieux besoin d'une transition écologique intimement liée aux besoins de développement et de progrès humain et social.

Notre conception de la politique est mue par une volonté d'encourager la pleine participation de chacun-e, acteurs et actrices de la solidarité internationale, de l'industrie, de la culture, de l'agriculture et défenseurs des droits humains et sociaux. L’instance décrite plus haut dédiée à l'APD serait le seul lieu légitime où seront discutés ces enjeux : nous n’avons pas l’intention d’en faire un domaine réservé de l’Élysée ou de Matignon. Nous rendrons la parole aux acteurs, et, au-delà même de rendre la parole, nous leur rendrons leur capacité à être entendu, et, in fine, nous favoriserons leur capacité à pouvoir agir collectivement, directement, et à contrôler l'action publique.