Quel avenir pour la Syrie après dix ans de guerre ?

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Au terme d’un suspense insoutenable, le tyran Bachar al-Assad est sorti vainqueur de la parodie du scrutin présidentiel qui renouvelle son mandat pour la quatrième fois. Il obtient 95,1% des voix dans les territoires sous contrôle alors que les deux régions qui lui échappent ont ignoré la consultation. En dépit de la présence formelle de deux personnalités tolérées par le régime, il était le seul véritable candidat. Après des victoires militaires, Bachar al-Assad a voulu se présenter comme l’homme de la reconstruction.

Bachar al-Assad a survécu à dix ans de conflit. Pour cela, dans la continuité des pratiques anciennes de son père Hafez al-Assad, il a déchaîné contre son peuple une violence inouïe. Il a bénéficié de la loyauté des services de renseignements et des officiers de l’armée (essentiellement de confession alaouite). Il a pu compter sur l’appui d’une kyrielle de milices chiites d’Iran, d’Irak, du Liban, d’Afghanistan ou du Pakistan et a bénéficié des armements fournis par Téhéran et Moscou. Enfin, l’intervention russe en 2015 a été décisive modifiant la configuration du conflit. Aujourd’hui, les combats ont partout baissé en intensité mais la guerre a fait 500 000 victimes, un million de blessés tandis que la moitié de la population est réfugiée.

Après la révolution de 2011, dans le sillage des printemps arabes en faveur de la démocratie, puis une seconde étape de militarisation du conflit, nous sommes entrés dans une phase de gel temporaire pas seulement en termes de diminution des affrontements armés mais aussi en termes de rapports de force sur le terrain. Une guerre d’usure s’installe, non plus militaire mais de gouvernance, entre le pouvoir et les oppositions qui organisent les populations qu’elles contrôlent et qui sont en recherche de légitimité internationale.

Bachar al-Assad règne désormais sur 65% d’un territoire en ruine. Les Kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD) en contrôlent 25% au Nord-est tandis que le groupe djihadiste Hayat Tahrir al-Cham (HTM) domine les provinces d’Idlib et d’Afrin soit 8 à 10% de ce pays désormais fragmenté.

Le régime est en situation de siège en raison de la dynamique de fragmentation qui affecte la société et les institutions ; de la crise économique, financière et sociale (80% de la population vit sous le seuil de pauvreté) mais aussi de la résurgence de l’État Islamique. Il peut encore s’appuyer sur une prédation sans limite ainsi que sur sa bureaucratie notamment carcérale avec son lot de tortures et d’exécutions. Sa base sociale, vulnérable, se compose de nouveaux affairistes mafieux issus des communautés alaouites mais aussi sunnites, de notables locaux, de chefs de milices et de structures organisationnelles fantoches comme le parti Baas et ses alliés.

Cette configuration vise à préparer une nouvelle phase qui tarde à venir, celle de la normalisation internationale. Celle-ci s’avère indispensable pour entamer la reconstruction, préserver le régime qui en retour confortera les loyautés et les clientèles. Le coût de la reconstruction s’élève à 1200 milliards de dollars. Celle-ci ne pourra pas vraiment débuter sans les financements des occidentaux qui actuellement l’entravent avec notamment la « loi Caesar » adoptée par les États-Unis. A ce stade, le clan al-Assad ne se sent pas menacé, cependant, le régime dépend totalement du bon vouloir de la Russie et de l’Iran mais aussi des tractations qui ont lieu avec la Turquie.

Les oppositions au régime tiennent aussi le terrain, impulsent une dynamique d’institution nalisationavec l’appui des puissances qui les protègent. La Turquie parraine le HTS à Idlib tandis que les États-Unis de J. Biden prétendent soutenir les Kurdes même si pour Washington la question syrienne n’est pas une priorité au Moyen-Orient.

Dans le Nord-est, les Kurdes, artisans de la victoire contre Daesh, ouverts à la diversité confessionnelle et ethnique, s’enracinent et créent des institutions démocratiques s’appuyant sur de puissants services publics (près de 100 000 salariés) et sécuritaires (70 000 personnes) qu’ils financent en s’appuyant sur la manne pétrolière. La stabilité et la sécurité, même précaires, leur apportent aujourd’hui le soutien des classes populaires et des couches moyennes.

Dans le Nord-ouest, les djihadistes instaurent eux un ordre précaire et brutal sur un mode islamiste et néolibéral en bénéficiant notamment d’investissements réalisés par des hommes d’affaires turcs.

Ces deux oppositions ont compris que le recours aux armes est contre-productif car les premiers comme les seconds n’ont pas les moyens militaires de résister à une invasion turque ou de faire face aux bombardements russes. Ils savent qu’ils ont plus à gagner en créant sur le terrain un fait accompli et en déployant des efforts diplomatiques pour convertir en soutien politique institutionnalisé le patronage militaro-sécuritaire actuel qui ne se concrétise pas… d’autant que leurs sponsors négocient leur sort avec leurs ennemis. Le destin des Kurdes se discute en partie entre américains et turcs tandis que l’avenir du HTS se dessine dans des pourparlers entre russes et turcs.

Dans le contexte actuel où il n’y aura pas de solution globale car les perspectives des trois acteurs sont irréconciliables, les forces d’opposition sont en recherche de processus que les politiques de listage des organisations dites « terroristes » bloquent.Si la situation actuelle demeure verrouillée, le risque est grand d’assister à une reprise des affrontements. Depuis plusieurs semaines, la Turquie trépigne d’impatience pour lancer une nouvelle offensive.

Si l’issue de la guerre doit appartenir aux seuls syriens, la responsabilité de la France et des pays de l’Union Européenne peut être déterminante en reconnaissant le rôle des Kurdes qui œuvrent pour une Syrie fédérale et démocratique.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient