Quelques premiers éléments d’analyse

Cette élection est complexe à analyser du fait des dynamiques de recompositions profondes du paysage politique français et européen. Ainsi il n’existe pas véritablement de scrutin antérieur naturel de référence. En effet l’élection européenne de 2014 était un scrutin de circonscriptions régionales et, de plus, certaines forces politiques conséquentes d’aujourd’hui comme la FI, LaREM et Génération.s n’existaient pas encore. Le fait qu’il faille remonter à 1999, pour retrouver un scrutin européen à la proportionnelle intégrale sur une circonscription nationale explique que nombre d’électeurs ont abordé cette élection comme un premier tour, voire un second tour de présidentielle.

Une abstention en net recul mais pas pour tous les électorats

Avec une abstention à 49,88 %, cette européenne retrouve un niveau de participation inégalé depuis 1994 avec une progression du nombre de votants de 7,69 points sur 2014. Pour la première fois de l’histoire électorale française, une européenne connait un niveau de participation supérieur au 1er tour de l’élection législative la précédant. La Corse et la Seine-Saint-Denis, le département le plus jeune de France, sont les territoires où l’abstention reste la plus forte. C’est en Seine-Maritime, dans les Ardennes, le Pas-de-Calais, la Haute-Loire que le recul de l’abstention est le plus important par rapport à 2014.

Cependant, 68 % des 18-24 ans, 70 % des 25-34 ans se sont abstenus, alors que la participation des plus de 65 ans culmine à 69 % (1). A noter que plus on a une opinion tranchée à l’égard des gilets jaunes dans le soutien ou l’hostilité, plus on participe au scrutin (2). Sans surprise il y a une sur-participation des retraités, des cadres, des foyers gagnant plus de 3 000 € par rapport aux ouvriers, aux chômeurs et aux plus pauvres.

A noter que si les sympathisants du PCF et de LaREM avec 62 % et 64 % ont le plus participé a contrario ceux qui sont soit proches de la FI (47 % de votants), soit qui ont voté Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2017 ont été affectés des taux de participation les plus bas avec 47 % et 45 %.

42 % des électeurs se sont décidés dans la semaine précédent le vote, dont 20 % le jour même. Ce taux monte à 69 % pour ceux qui ont déposé un bulletin EELV dans l’urne. C’est pourquoi assez logiquement la profession de foi a été le vecteur dominant d’information des électeurs.

Cette hausse de la participation vient aussi d’une scénarisation et d’une dramatisation de cette élection voulue à la fois par LaREM et le RN afin de transformer le scrutin en mini second tour des présidentielles.

La liste du PCF : une dynamique qui ne s’est pas concrétisée jusqu’aux urnes

Pour la première fois depuis 2007, le PCF se présentait à une élection où la circonscription électorale est l’ensemble du territoire national. La liste que conduisait Ian Brossat fait 2,49 % des suffrages exprimés et 564 739 voix. En 2014, le Front de gauche avait fait 6,61 %, mais il s’agissait d’un mode de scrutin régional et d’une alliance avec le Parti de gauche, Ensemble et la Gauche unitaire. En revanche, cette campagne électorale a davantage ressemblé à une présidentielle qu’à une européenne et le PCF réalise un score en pourcentage supérieur au 1,93 % qu’il avait obtenu à la présidentielle de 2007.

À sept jours du scrutin, la campagne menée par Ian Brossat, ses colistières et colistiers, la forte mobilisation militante du Parti avaient hissé le score de la liste à l’étiage de 3,5 à 4 %. Une véritable dynamique se développait. Malheureusement, dans la dernière semaine, alors que nous étions brutalement quasi effacés des médias publics et que nombre d’abstentionnistes se muaient en électeurs, ce succès d’estime ne s’est pas concrétisé dans les urnes. Il reviendra dans les jours qui viennent aux communistes d’analyser en profondeur les raisons de ces difficultés, sans perdre de vue qu’au-delà du score décevant, la qualité de notre campagne par la dignité qu’elle redonnait au débat politique national a été reconnue au-delà de nos rangs. À noter une percée dans l’électorat des 18-24 ans où Ian Brossat fait 7 %. En revanche, la composition de notre liste avec plus de 50 % d’ouvriers et d’employés n’a pas permis notre ré-identification avec le monde du travail. De même, malgré nos efforts, nous ne sommes pas encore identifiés à un parti prônant une orientation écologique profondément liée au social.

Crise profonde de la FI et de sa stratégie populiste

La FI s’était engagée dans ce scrutin avec l’objectif d’incarner la première force d’opposition à Emmanuel Macron dans le cadre d’une stratégie populiste hégémonique dite de gauche. Devant la faible dynamique de sa campagne, l’échec d’y raccrocher le mouvement social des gilets jaunes, l’éclatement des contradictions entre gauche et populisme, Mélenchon a opéré dans les dernières semaines une réorientation brusque de son discours vers le rassemblement à gauche.

Avec 1 428 386 voix et 6,31 % la FI n’arrive même pas au niveau des 6,61 % du Front de gauche en 2014. Elle perd plus de 5 millions de voix sur la présidentielle de 2017 et 13,27 points. Mais elle obtient malgré tout 6 élu.e.s en devançant de très peu le PS.

La FI n’a pas réussi à mobiliser son électorat de la présidentielle. En effet plus, +de 50 % de cet électorat n’a pas été voter et une forte proportion de ses jeunes électeurs de 2017 ont fait le choix de voter cette fois-ci EELV.

Le PS : entre poursuite de la descente aux enfers et rémission provisoire

La liste du PS dont la conduite a été laissée à Raphaël Glucksmann, rassemble 1 401 978 voix et 6,19 %, soit une perte de 7,79 points sur 2014 qui déjà avait été une très mauvaise élection pour le PS. Par rapport à la présidentielle de 2017, Raphaël Glucksmann ne retrouve même pas le score de 6,36 % de Benoît Hamon. D’après les sondages sortis d’urnes il ne réunit que 29 % des électeurs socialistes du 1er tour de la présidentielle. La campagne du PS s’est faite avec un faible engagement militant et seule l’intervention de certains élus socialistes territoriaux ont permis à la liste d’être au-dessus des 5 %.

Malgré tout, le PS parvient à envoyer 6 députés-e-s au Parlement européen, mais ceci est loin de mettre fin à sa crise qui par ailleurs s’inscrit dans une crise plus globale à l’échelle mondiale de la social-démocratie.

Échec des ambitions de Génération.s et de Benoît Hamon

Benoît Hamon, fort de sa notoriété acquise lors de la présidentielle de 2017, entendait bien obtenir et dépasser les 5 %, faire élire des députés et ainsi enraciner son mouvement dans le paysage politique national. En partant de l’assise de quelques anciens réseaux militants socialistes, son mouvement in fine obtient 3,27 % et 741 212 voix, ce qui représente un échec au regard des objectifs initiaux de Génération.s.

Dans le cadre d’un éclatement en 4 formations, le total des listes de gauche hors écologistes dépasse à peine l’étiage des 18 %.

Succès d’EELV porté par les marches du climat

Avec 3 052 406 voix, 13,47 % et l’élection de 13 député.e.s, EELV a réussi une percée électorale dans la dernière semaine, portée par la médiatisation des manifestations des jeunes sur le climat et l’inquiétude sur l’avenir de la planète. Outre les jeunes avec des scores de 25 % chez les 18-24 ans, et 28 % chez les 25-34 ans, Yannick Jadot, malgré son forfait à la présidentielle au profit d’Hamon, a su rassembler, dans une stratégie « ni gauche, ni droite, mais écologiste », à la fois des électeurs de la présidentielle de Mélenchon (17 %), d’Hamon (26 %) et de Macron (20 %). Il augmente de 3,5 points le score des Verts par rapport à 2014 et se rapproche du record de 16,28 % en 2009. EELV tient au lendemain du scrutin un discours à visée hégémonique qui n’est pas sans rappeler celui de la FI après le 1er tour de la présidentielle.

LaREM se consolide sur sa droite

LaREM obtient 5 076 363 voix et 22,41 % ainsi que 23 député.e.s. Son duopole voulu avec le RN se termine par une défaite relative face au parti populiste d’extrême droite. Mais, dans le même mouvement, ce scénario lui a permis de consolider, par rapport à la présidentielle, son emprise sur l’électorat de droite. Ainsi elle récupère 27 % des électeurs de François Fillon et enracine son emprise sur l’électorat retraité (24 % chez les 60-69 ans et 33 % chez les plus de 70 ans) sur les CSP+ et les ménages gagnant plus de 3 000 €. LaREM, certes avec la mobilisation de tous les moyens qu’offre la présidence de la République, parvient à s’installer comme la force de droite libérale et autoritaire de ce pays.

LR en danger de mort pris en étau entre LaREM et RN

Avec 1 920 530 voix, 8,48 % et 8 élu.e.s, cette européenne se termine en naufrage politique pour LR qui perd 12,33 points sur 2014. Des morceaux entiers de l’électorat de Fillon sont captés par LaREM, d’autres, dans une moindre mesure, succombent à la tentation du vote RN. LR voit son espace politique rétrécir comme peau de chagrin.

Le RN grand bénéficiaire du « référendum anti-Macron »

RN réunit 5 281 576 voix, 23,31 % et assure 23 sièges de députés. S’il fait légèrement moins que les 24,86 % du FN en 2014, il est devant LaREM et s’installe comme première force politique. Lui qui, il y a dix ans, aux européennes de 2009 faisait à peine 6,34 %.

Il est de loin la première force électorale chez les ouvriers (40 %), chez les actifs entre 35 et 60 ans. Il a su sur-mobiliser son électorat de la présidentielle de 2017, capter une part de l’électorat LR et donner en le dépolitisant un débouché à ceux qui voulaient utiliser à tout prix les européennes comme un vote sanction de Macron. Par contre, les apports de voix venant des électorats de la gauche, y compris de la FI, sont très faibles (7 % du vote Mélenchon, 5 % du vote Hamon).

 

Ces élections européennes s’inscrivent dans un mouvement de recomposition profonde et accélérée du paysage politique de notre pays. Cela impose aux communistes de poursuivre la mise en œuvre d’une visibilité plus grande et d’un ancrage plus important de notre parti dans l’ensemble de la société française. Et pour toute la gauche, un défi existentiel qui implique à la fois de rassembler mais aussi de redonner tout son sens de classe au mot gauche, en ce début de XXIe siècle marqué par les révolutions sociales, écologiques, urbaines, monétaires, démographiques et numériques.

Pierre Lacaze, Yann Le Pollotec, Adrien Tiberti

1. https ://elabe.fr/wp-content/uploads/2019/05/rapport_26052019_bfmtv_sondage-jour-du-vote-europeennes.pdf

2. https ://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2019-05/ipsos_sociologie_europeennes_2019_26_mai_20h21.pdf