Radio France : une lutte symbolique

Depuis le 25 novembre dernier, les salariés de Radio France sont en grève, à la suite du plan de « départs volontaires » portant sur 299 salariés assorti de 60 millions d’économies annoncé par la direction lors du CSE du 25 novembre, alors même que tous les sondages vantent les records d’audience de toutes les radios du service public.

Ce plan s’inscrit à l’évidence dans une « préfiguration » de la réforme de l’audiovisuel public que prépare le gouvernement pour 2020. Suspendu quelques jours pendant la période des fêtes, le mouvement a repris de plus belle à la rentrée. Nous en sommes aujourd’hui à deux mois de grève !


Lors de la cérémonie de vœux au personnel de la “maison ronde”, la présidente Sibyle Veil fut contrainte, sans mot dire, d’écouter les choristes de Radio France interprétant le Chœur des esclaves du Nabucco de Verdi, le fameux Va pensiero, devenu un chant de liberté partout dans le monde.


Les grévistes de Radio France ont fait mouche : les antennes ont été fortement perturbées – et le restent encore aujourd’hui – sur toutes les chaînes, affectant pratiquement toutes les émissions de France Inter, France Culture et France Info. Ce qui d’ailleurs a provoqué l’ire de l’invisible ministre de la Culture Franck Riester, furieux que ses propos sur l’anniversaire du massacre de Charlie n’aient pas été retransmis. Et pour cause. L’antenne était ce jour-là en grève… Et le discret ministre de la Culture n’a jamais daigné recevoir depuis le 19 novembre les salariés de Radio France.


Le plan Veil affectant toutes les catégories de personnel (4 600 équivalents temps plein) est à l’aune de ce que connaissent les hospitaliers, les enseignants, les agents des services publics en général : des coups de rabot à l’aveugle et sans état d’âme. Ce qui a provoqué un sentiment « de colère et d’injustice » au sein de la radio, comme en témoigne Lionel Thompson, élu SNJ-CGT à Radio France. 


Tous les secteurs sont touchés. D’une part les journalistes (moins 17) avec la suppression des infos sur FIP, des bureaux régionaux de Toulouse et Marseille, et des services de documentation. En conséquence, la qualité de l’information et des programmes va se dégrader, notamment à cause des mesures contre la production : le plan parle de supprimer 16 postes de réalisateurs et 25 postes de techniciens.


Ces nouveaux coups de bistouris surviennent après plusieurs plans de réductions de postes et de services, qui concrètement ont conduit par exemple à la fin des émissions nocturnes sur Inter, laissant la place à des rediffusions.


Dès le début du conflit, la CGT de la Maison ronde – qui a rejoint massivement les manifestations contre les retraites – a pourtant, chiffres à l’appui, démontré l’inanité des 60 millions d’économie et de ce discours récurrent contre les “charges” de personnel. L’organisation syndicale avait mis en garde la Direction sur les dangers d’ « une dégradation inacceptable de la qualité du service rendu au public et des conditions de travail des salariés ».
« Faire plus avec moins » se traduit déjà par l’augmentation des arrêts de travail pour maladie et devant l’augmentation des risques psycho-sociaux.
Pour toute réponse, le Premier ministre Édouard Philippe a eu ces mots cyniques : « On fait des économies partout ailleurs, il faut bien en faire chez vous »… La direction de la radio publique refuse toutes les demandes des syndicats et des salariés : « il n’y a pas d’alternative » à son plan.


Quid de l’avenir de Radio France, alors que se profile à l’horizon le projet de la loi audiovisuelle ? Avec pour France Télévisions : 2 000 suppressions de postes, une réduction sensible du budget, et en ligne de mire la disparition programmée de deux des chaînes du service public (France 4 et France O).
Dans ce contexte, Radio France va-t-elle servir de variable d’ajustement au moment où le gouvernement prévoit une baisse d’un euro de la redevance audiovisuelle, amputant ainsi la ressource de l’audiovisuel public de 30 millions ? 


Face à ces approches purement comptables, il y a urgence à mettre en débat, avec les professionnels et les citoyens, la conception d’un vrai service public de l’audiovisuel basé sur la qualité face au mercantilisme, au buzz et aux dérives sensationnalistes de médias privés obnubilés par l’Audimat.


À nous de faire vivre les propositions du PCF. Par exemple, en sanctuarisant le budget de l’audiovisuel public dans la Constitution, en lançant une réflexion sur la publicité chronophage et aliénante en vue de sa suppression progressive moyennant des ressources ad hoc en hommes et en financement. Mais aussi en garantissant l’un des socles de la démocratie : une information pluraliste dégagée de toute forme d’étatisme, qui doit être la marque d’excellence du service public, dont la devise était au siècle dernier « informer, distraire et cultiver ».


C’est tout l’enjeu des Assises pour la liberté de la presse et des médias du vendredi 24 janvier, sur lesquelles nous reviendrons plus longuement dans un prochain numéro de CommunisteS.


Patrick Kamenka, pour le collectif médias (commission Culture) du PCF.