Une victoire à la Pyrrhus en Nouvelle Calédonie

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Le sentiment de la toute puissance coloniale a encore frappé. « Ce soir, la France est plus belle car la Nouvelle Calédonie a décidé d’y rester. » Dixit le président français Emmanuel Macron à propos du referendum d’autodétermination du 12 décembre dernier. La Nouvelle Calédonie aurait-elle « décidé » ? Assurément non. Une minorité des électeurs a fait un choix (43 % seulement de participation avec 96 % contre l’indépendance). La majorité n’a pas participé, répondant pour une part écrasante à l’appel au boycott des indépendantistes.

Le scrutin devait être le troisième et dernier référendum d'autodétermination prévu par les accords de Matignon de 1988 et de Nouméa en 1998. Il devait en ressortir un choix clair entre l’option d’une Nouvelle-Calédonie autonome dans la République française ou celle d’une indépendance en partenariat avec la France. Les consultations de 2018 et 2020 avaient montré une hausse du « oui » à l'indépendance, avec respectivement 43 % puis 47 %, soit à peine 2000 voix d'écart l'an passé. Le taux de participation avait atteint les 85 % en 2020, il a été divisé par deux le 12 décembre. Il n’y aura donc pas de choix clair puisque l’abstention est largement majoritaire.

L’ancien premier ministre Édouard Philippe s’était engagé en 2019 lors du dernier comité des signataires de l’accord de Nouméa, à organiser le 3ème référendum en septembre 2022, pour « bien distinguer les échéances électorales nationales et celles propres à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ». Sous l’impulsion de M. Macron, les autorités françaises ont manœuvré pour passer en force, précipitant le calendrier afin d’empêcher (quoi qu’il en coûte) que le resserrement de l’écart constaté en 2020 ne profite aux indépendantistes. Ces derniers plaidaient pour le report de la consultation compte tenu de l’épidémie de Covid et l’incompatibilité de la campagne électorale avec les rituels de deuil du peuple kanak. Leur demande a été rejetée avec mépris de la part d’un gouvernement français incapable de mesurer à quel point ce deuil devait être respecté. Et comme prévu, la campagne et le référendum ont été pollués par les enjeux de la présidentielle 2022, gouvernement, droite et extrême droite appuyant le Non à l’indépendance.

Le processus d’autodétermination de la Nouvelle Calédonie a donc été dévoyé, aboutissant à un retour à la case départ. Le 1er ministre Jean Castex a beau promettre devant l’Assemblée nationale que « se rouvrira une phase de discussions institutionnelles », le mal est fait. Les dés ont été pipés, la confiance brisée, les accords trahis. Le succès vanté par M. Macron pourrait se transformer en victoire à la Pyrrhus tant il s’apparente à un coup de poignard pour les démocrates et pour le peuple d’origine, les Kanak qui représentent 40 % de la population.

Plus qu’une faute préméditée, le positionnement de M. Macron montre (pour qui aurait eu encore un doute) qu’il ne s’est jamais défait du logiciel colonial. Le discours de Ouagadougou de 2017 où il annonçait en finir avec de telles pratiques, avec la Françafrique, n’était qu’un habillage, une manœuvre.

Tout cela abime la France, la fragilise et la rend moins belle. On en mesure les conséquences avec la montée grandissante du rejet de l’Etat français et de ses troupes militaires au Sahel. La mort par balle de 2 manifestants au Niger lors du déplacement d’un convoi de l’armée française en dit long sur la situation.

Il est temps de sortir de l’illusion des politiques de domination à tout prix, celles qui a termes se transforment en bombes à retardement.
Sous d’autres latitudes et dans une situation bien différente, le cas de Mayotte, territoire recolonisé par la France de la manière la plus insidieuse, constitue un précédent. Il aurait dû être une alerte pour se garder de reproduire tout passage en force.

Le dévolu de Paris depuis des décennies sur l’ile de Mayotte qui a bénéficié des largesses de la France, pour la détacher des Comores déstabilisées en permanence et appauvries, a conduit à une asymétrie de développement ingérable aujourd’hui : surpopulation, sous capacité et manque de moyens des services publics, violences, mineurs laissés à l’abandon constituent un terreau de mal-vie, conséquence de la stratégie de l’Etat français. Le fait que Mme Le Pen, candidate d’extrême droite, se déplace à Mayotte pour y mener campagne n’est pas un hasard. Elle se jette sur le désastre pour enrôler les victimes, gagner des voix en leur faisant croire que tout serait de la faute aux migrants. Il va sans dire qu’elle n’a aucune solution à proposer, à part d’ériger des murs.

A Mayotte, le statut quo ne sera pas possible. Pour les Comores le bilan humain est lourd, très lourd. Le sinistre visa Balladur instauré en 1995, mettant fin à la libre circulation des habitants entre Mayotte et les autres iles comoriennes, a poussé nombre d’entre eux à la rejoindre clandestinement à bord de frêles embarcations. Le visa Balladur a produit un crime monstrueux, avec plus de 10 000 morts, hommes, femmes et enfants noyés en mer d’Anjouan. Ce bras de mer passe pour être aujourd’hui un des plus grands cimetières marin au monde. Voilà qui résonne avec une autre actualité plus proche, celle de la mort de 27 migrants lors d’un naufrage au large de Calais. "La France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière", a affirmé M. Macron. Il sait en effet de quoi il parle. S’il était sincère, il pourrait mettre fin au visa Balladur pour sécuriser des voies légalisées de circulation d’allers et de retours, pour empêcher les basses œuvres des passeurs et stopper l’hécatombe. Mais cela ne suffira pas car dans cette zone géographique comme ailleurs dans le monde il ne pourra y avoir d’avancées décisives dans le vivre ensemble tant que la question des satisfactions des besoins sociaux et économiques ne sera pas affrontée avec le courage et la responsabilité nécessaires. A moyen terme pour ce qui concerne Mayotte plus spécifiquement le respect du droit international s’impose et demande, à minima, une concertation sur le statut. Mais cela nécessite de mettre fin à l’esprit colonial.

Dominique Josse
responsable du collectif Afrique du PCF
membre de la Commission des relations internationales