CN juillet 2022 / Intervention Lydia Samarbakhsh, membre du CEN, chargée de l'International

Avant d'entrer dans le vif du sujet de mon intervention, j'aimerais souligner l'importance de ne céder ni à la normalisation du RN ni à celle de la guerre (en Ukraine). Non, nous ne somme pas en guerre, c'est le peuple ukrainien qui vit en état de guerre, et le peuple russe. Mais, oui, la période dans laquelle nous sommes entrés depuis l'abandon de l'objectif d'un cessez-le-feu immédiat et la revendication de l'objectif de tout faire pour imposer une victoire militaire à la Russie – qui mènerait à une chute du régime Poutine – imposée par l'administration Biden et voulue par le pouvoir ukrainien mais aussi le gouvernement de Pologne, et l'escalade (livraisons d'armes, trois nouvelles bases de l'Otan dans les pays baltes et en Pologne, la mise à disposition de 300 000 hommes de troupe de l'OTAN en situation opérationnelle), nous y conduit tout droit si nous nous banalisons, même à notre corps défendant, la situation. Au passage je mentionne le problème bien réel que posent l'entrée de 90 députés RN et l'élection de deux vice-présidents de l'AN issus du RAN en matière de Défense nationale pour notre pays.

La guerre en Ukraine est certes un élément marquant de la situation, du contexte, mais il nous est impératif d'en dénoncer le caractère insupportable, et dangereux, et l'exigence d'y mettre au plus tôt un coup d'arrêt net. Ce qui manque au rapport présenté par Fabien, et même si on ne peut qu'en partager sur ce point les objectifs généraux, c'est la condition centrale, incontournable, pour renverser le rapport de force actuel dominé par les « pro-guerre » et imposer un cessez-le-feu : la volonté des peuples, des forces du travail et de la création, dont seule la mobilisation et mise en mouvement de masse seront à même de faire baisser les armes et ouvrir une perspective de dialogue. C'est pour cela que nous devons réellement mettre toutes nos forces dans la réussite des manifestations et marches pour la paix du 21 septembre prochain, comme nous nous y sommes engagés dans la résolution sur la guerre en Ukraine que nous avons adoptée ici même en Conseil national en avril. Le secteur International va mettre à la disposition des fédérations et sections le matériel pour préparer la mobilisation au cours de l'été.

L'actualité internationale est donc marquée par la guerre en Ukraine ainsi que, dans la semaine qui vient de s'écouler, par les sommets internationaux de l'OTAN et du G7 et aux décisions lourdes de conséquences qui y ont été prises, en particulier par les pas supplémentaires qui viennent d'être faits dans l'escalade de l'affrontement militaire que se livrent États-Unis/Otan par l'intermédiaire du gouvernement ukrainien et Russie. Mais c'est un contexte international qui est aussi frappé des conséquences humaines et sociales de la crise économique, de la guerre et de la crise du capitalisme mondialisé. Les émeutes de la faim qui ont eu lieu au Sri Lanka vont se généraliser et même les semaines d'hypercanicule en Inde qui ont causé la mort de centaines de gens ne sont pas un événement « naturel » mais bien les résultats de logiques dominantes dont la pandémie a mis en évidence à quel point elles, ces logiques prédatrices, appellent de profonds bouleversements de civilisation humaine – cela n'a pas changé à la faveur du temps qui passe.

Notre analyse de la situation nationale doit par conséquence prendre en compte les contextes européen et international bien évidemment pour leur impact sur elle mais aussi parce que la France est une puissance mondialisée, une puissance internationale, qu'elle a des responsabilités précises dans un certain nombre de situations et qu'elle a en répondre devant notre peuple et devant les peuples du monde.

Les peuples, justement, les mobilisations populaires et mouvements sociaux sont singulièrement relégués à l'arrière-plan des débats et de notre propre analyse si nous en restons au constat du retour de la guerre conventionnelle en Europe et aux répercussions socio-économique de ce conflit.

A) la guerre en Ukraine a été rendue possible parce que l'ordre international imposé par les EU et l'OTAN après la « chute de l'URSS » (et, en considérant qu'ils avaient gagné la guerre froide) est contesté depuis près de 20 ans ! Il est remis en cause – ce « nouvel ordre international » des années 1990 n'aura au fond duré qu'une dizaine d'années – le monde, ou plus précisément cet ordre du monde, est dans la tourmente depuis le déclenchement de la deuxième guerre d'Irak qui, au lieu de le consolider, a précipité son « naufrage ». Cependant « naufrage » ne signifie pas disparition immédiate ; pour sauvegarder leur hégémonie, la relancer, l'étendre là où elle est défiée, les EU ont besoin d'abord d'anéantir toute concurrence et l'OTAN, pour justifier son existence, son poids, a besoin d'ennemi. La « guerre internationale contre le terrorisme » a vite atteint ses limites, elle est un fiasco absolu. L'invasion militaire de l'Ukraine et la guerre qui s'y déroule a donc offert aux EU et à l'OTAN l'occasion recherchée de reprendre pied en Europe, cela malgré des contextes régionaux encore en pleine ébullition :

→ l'échec militaire en Syrie pour toutes les puissances occidentales en présence ;

→ la guerre menée par l'Azerbaïdjan, activement soutenue par la Turquie, contre l'Arménie dans le Haut-Karabakh, menace de reprendre : l'odieux accord imposé par Erdogan, en contrepartie de l'entrée de la Finlande et de la Suède dans l'OTAN, est un feu vert à son projet d'invasion militaire du Nord-Est de la Syrie dans les semaines qui viennent, mais aussi dans le Caucase vers l'Arménie ou en Méditerranée où la Turquie continue d'occuper Chypre depuis 1974 ;

→ L'échec historique de la guerre d'Afghanistan et les circonstances du retrait définitif et « total » des troupes américaines en aout 2021 offrant immédiatement aux talibans les rênes du pouvoir, presque 20 ans jour pour jour après le début de cette guerre censée libérer le pays de leur emprise : le peuple afghan s'enfonce dans une crise humanitaire et subit directement les effets des sanctions imposées par les États-Unis plus que le pouvoir taliban qui s'abrite derrière ces sanctions pour laisser le peuple en grande souffrance et achever d'imposer un ordre obscurantiste brutal ;

→ l'échec des opérations extérieures françaises dans le Sahel et le retrait de la France du Mali laissent entier le problème du développement économique endogènes du Mali comme de l'ensemble des peuples de la région et du continent. Et la présence militaire de la Russie dans la région étend à l'Afrique et au Maghreb, l'affrontement Russie-Otan au détriment de la sécurité et des intérêts vitaux des populations ;

Tous ces événements sur le plan militaire attestent des limites – pour ne pas dire de la crise existentielle – de la doctrine d'un règne hégémonique et sans partage d'une puissance mondiale, les EU, forte d'une alliance – uniquement au monde et dans l'histoire.

Pour Thierry Pouch, dans le numéro Hors série de la Terre, et je partage sa réflexion : « La guerre en Ukraine est une étape décisive dans le processus de déstabilisation du monde et le signe annonciateur d'une reconfiguration en profondeur de la hiérarchie des nations. Plus précisément encore, c'est toute la question de la formation d'une hégémonie non-occidentale sur le monde qui est sous-jacente à la crise actuelle »... « la guerre exacerbe des tensions à l’œuvre depuis le début des années 2000 »

Question posée pour nous : Devons-nous défendre l'idée de contribuer au remplacement d'une hégémonie par une autre (et laquelle ?) ou, au regard des défis de civilisation posés à l'humanité tout entière, devons-nous agir et contribuer à l'émergence d'un autre ordre international, fondé sur le partage des richesses et surtout la promotion des intérêts des forces du travail et de la création, l'exigence de sécurité collective et de sécurité humaine globale, et l'émancipation des peuples des logiques capitalistes ? Je ne pense pas, et ce n'est pas ce que nous avons défendu jusqu'ici dans notre projet et nos propositions ou notre action, qu'il s'agisse pour la France de devenir un pays « non-aligné » mais que la France récuse l'organisation du monde en blocs antagonistes doté d'un leader et de vassaux.

B) Sur le plan économique, les puissances (classes dirigeantes) occidentales ont d'abord (1990-2010) tout misé sur le tapissage du monde en accords de libre-échange (ALE) – cette tactique n'a pas freiné l'émergence de nouvelles puissances régionales et, en particulier, celle de la Chine comme une actrice internationale et mondiale ; Chine qui a défendu contre l'administration Trump le libre-échange au forum de Davos en 2017. La compétition en matière de maîtrise des ressources énergétiques, des métaux rares, de contrôle de l'Arctique est d'autant plus féroce que toute hégémonie devra nécessairement s'appuyer sur le contrôle absolu de ses ressources pour s'imposer. Cela se fait dans un moment historique global d'explosion des inégalités sociales et économiques, de reculs démocratiques et sociaux, et des conséquences de la crise énergétique et de la guerre en Ukraine sur les conditions de vie de peuples entiers ; la voie de l'autoritarisme reste la seule possible pour les classes dirigeantes. MAIS : quelle première leçon tirer de ce qui vient de se produire en Équateur (voir CP PCF 2 juillet 2022) ? N'y a-t-il pas là matière à soutien aux luttes nationales, régionales et perspectives internationales contre l'augmentation des prix du carburant, des prix de première nécessité ?

Question posée pour nous : Quels actes produire, quelles actions engager pour soutenir le développement des mobilisations sociales et contribuer à les rendre victorieuses en France en Europe et dans le monde ? Comment porter et rendre incontournable, et avec quelles autres forces partenaires, la question des biens communs universels et mondiaux aussi bien de l'eau, que des ressources carbonées pour en réduire l'usage, ainsi que de la santé voire même toute une série de biens alimentaires de première nécessité ?

C) Les classes dirigeantes capitalistes et particulièrement occidentales ont été considérablement déstabilisées par la crise pandémique et sanitaire des deux dernières années : nous le sous-estimons trop et trop souvent. Cette expérience à proprement parler mondiale a profondément remis en cause les logiques dominantes et nous aurions tort de faire, comme les classes dirigeantes, l'impasse sur les remises en cause en chaîne qu'elle a provoquées et va continuer de provoquer.
Plusieurs réponses travaillent les peuples et les sociétés : le repli sur soi jusqu'à l'ultra nationalisme, l'individualisme et les égoïsmes nationaux tel que pourrait l'incarner une alliance LaRem-LR-RN en France, une aspiration au changement mais sans perspective qu'on retrouve pour une part dans les raisons d'une large abstention du peuple de gauche dans les pays occidentaux.

Question posée pour nous : Avec qui et comment, par quels processus et initiatives, porter le fer sur le multilatéralisme // Quelle vision et chapitre de l'internationalisme ouvrir pour fermer la porte aux nationalismes et à la guerre ?

D) Enfin, j'appelle toute votre attention sur le bilan dressé par Emmanuel Macron de la présidence française de l'Union européenne au parlement européen en mai dernier. Il y annonce la convocation d'une convention de révision des traités : allons-nous investir cette convention pour y faire prévaloir des propositions pour une réorientation de fond de l'UE dont nous sommes porteurs et qui peuvent devenir majoritaires ? D'autant que le PR parle pour ce qui le concerne de changements de règles et du souhait de mettre en place, pour les pays de la zone Euro, des « cercles d'avant-garde » et une logique de « différenciation ouverte à tous » : avec notre dessein d'une Europe des peuples et des nations libres, démocratiques et souveraines à géométrie choisie, nous devrions déjà ouvrir le débat politique forts des exigences et prises de conscience que la pandémie et la crise sanitaire ont fait exprimer en masse dans notre peuple et les peuples du monde.