Vincent Boulet : 50e anniversaire de la Révolution des œillets

Publié le 26 avril 2024

Je remercie, au nom du PCF et de Fabien Roussel, la venue en France, exceptionnelle, d’Albano Nunes, à l’occasion du 50e anniversaire de la Révolution des œillets. Albano participa directement aux luttes contre la dictature fasciste de Salazar, dans les luttes étudiantes. Expulsé de l’université de Lisbonne par les fascistes, il prit part directement à la révolution de 1974.

Cette venue symbolise l’amitié, la solidarité, et les combats communs du PCP et du PCF tout au long de la période de la résistance contre la dictature, pendant la révolution et depuis, jusqu’à aujourd’hui et pour demain. Ils se fondent sur des exigences communes, de lutte pour la démocratie, le progrès social, contre l’impérialisme et le capitalisme, pour l’évolution révolutionnaire de la société et la visée communiste.

Cette solidarité plonge dans l’histoire des luttes des peuples français et portugais, contre le fascisme et le colonialisme, pour « des jours heureux » pour reprendre la belle formule du conseil national de la résistance.

Durant la dictature fasciste

Le PCF a fourni une aide politique et matérielle aux exilés portugais, aux militants et dirigeants contraints à l’exil, et forcés à vivre encore en clandestinité en exil même, alors que la police française n’hésitait pas arrêter et renvoyer vers les geôles fascistes les militants communistes. C’est évidemment le cas d’Alvaro Cunhal, après l’évasion collective de la terrible prison de Peniche. Pensons qu’alors la législation de 1939 contre les associations étrangères s’appliquait encore et qu’en 1966 des arrêtés d’expulsion sont pris contre Alvaro Cunhal et Pedro dos Santos Soares, ancien du camp de concentration de Tarrafal et auteur d’un ouvrage de témoignage terrible sur ce camp ! La France fut bien une base arrière de la résistance contre le salazarisme, un complément stratégique à la lutte menée au Portugal. Les communistes français ont aussi pu partager avec les camarades portugais leur propre expérience de la résistance contre le fascisme. Il s’agissait aussi de syndiquer les travailleurs portugais, à la CGT, et de faire connaître la dure réalité de la dictature fasciste et des guerres coloniales dans la presse communiste, dans l’Humanité. Le stand des « démocrates portugais », tenu par des camarades du PCP à la fête de l’Humanité, était un évènement annuel. De nombreuses municipalités communistes se sont engagées dans la solidarité concrète avec les Portugais en exil, avec les communistes portugais, comme ce fut le cas ici à Champigny avec l’action de son maire, Louis Talamoni.

Ce qui lie le PCF et le PCP, c’est non seulement la nécessaire solidarité internationale communiste, mais encore une expérience historique commune, de résistance contre le fascisme, de lutte contre le fascisme, souvent au prix de sa liberté et parfois de sa vie, ce sont les expériences de la répression et des prisons. Et cette lutte contre le fascisme, de même que la lutte contre le colonialisme, fut une lutte victorieuse. Et dans ces luttes, dans ces victoires, les communistes ont été au premier rang, en France, au Portugal, mais aussi dans les autres pays européens.

De cela, nous pouvons être fiers. Et quand les classes dirigeantes essaient de manipuler l’histoire, de dévaloriser les résistances populaires contre le fascisme, d’insulter la mémoire des résistants tombés dans la lutte, elles trouvent les communistes encore au premier rang de ces luttes pour la mémoire démocratique, contre les falsifications de l’histoire. Ce fut le cas par exemple de la résolution honteuse du Parlement européen de 2019 qui assimile le communisme au fascisme.

Durant la révolution

La Révolution des Œillets ne signifia pas seulement le renversement du fascisme. Mais ce fut aussi une remise en cause populaire du système d’accumulation capitaliste et d’exploitation impérialiste dont la dictature fasciste est l’outil politique, dans la situation de semi-dépendance dans lequel le fascisme maintenait le Portugal. C’est-à-dire une exploitation impérialiste féroce des colonies par un système de travail forcé généralisé d’une part, et d’autre part le fait ce système d’exploitation permettait à la dictature d’être au service des entreprises monopolistes des métropoles impérialistes. C’est donc un système d’exploitation global qui est remis en cause par les luttes anti-coloniales tout d’abord, puis par la révolution de 1974.

La Révolution des Œillets eu un écho international majeur, car elle redonnait espoir quelque mois après le coup d’Etat de Pinochet orchestré au Chili avec l’appui des Etats-Unis. On ne peut pas non plus la séparer des échos du renversement de la dictature des colonels en Grèce et de la fin du franquisme pourrissant qui s’annonçait en Espagne.

Ce fut une révolution anti-impérialiste et anti-coloniale, qui mit fin aux guerres coloniales, en reconnaissant le droit à l’autodétermination et à l’indépendance des peuples colonisés d’Afrique australe.

Ce fut une intervention populaire pour la démocratie, ce fut une intervention ouvrière pour de nouveaux droits, pour le salaire minimum, pour la dignité dans le travail, pour le contrôle démocratique de la production.

En France, comme dans d’autres pays européens, il fallut assez vite donner un écho solidaire à ce qui se passait au Portugal.

Il y eu bien sûr le rôle de l’Humanité, de ses envoyés spéciaux, pour informer sur la situation notamment lors du Premier mai 1974. Mais aussi, dès les premiers mois ayant suivi le 25 avril 1974, le Mouvement des forces armées (MFA) du Portugal et le Parti communiste portugais, confièrent a UNICITE (collectif Unité, Cinéma, Télévision, Audiovisuel), créé par le PCF au début des années 1970, l’ensemble des documents tournés entre la chute de Caetano le 25 avril et le 1er mai 1974. A partir de ce matériel, Unicité réalisa un film qui fût présenté pour la première fois à Paris au meeting de soutien au peuple portugais, le 20 juin 1974.

Ce fut également une solidarité politique, alors que les pressions des classes dirigeantes qui n’ont pas rompu avec le salazarisme, pour normaliser le processus révolutionnaire au Portugal, sont fortes. Ce fut le cas à chaque fois que la bourgeoisie a essayé d’interrompre et d’inverser le processus révolutionnaire : en septembre 1974, avec la tentative de coup d’Etat de Spinola, en mars 1975, quand des militaires proche de l’extrême-droite essaient de prendre le pouvoir. Alvaro Cunhal, membre du gouvernement, dénonça « un vaste plan contre-révolutionnaire ». Ce fut la mobilisation populaire qui empêcha ce coup d’Etat. De même lorsque, quand le mouvement révolutionnaire s’approfondit en réaction à cette tentative de mars 1975, des violences anti-communistes émaillent « l’été chaud » de 1975 ; lorsqu’en novembre 1975 les forces réactionnaires mettent fin partiellement au processus révolutionnaire.

Le processus mis en œuvre par la révolution d’Avril, ses premières décisions et acquis progressistes se sont heurtés à l’offensive et aux tentatives de la droite la plus réactionnaire de vouloir changer la donne du pays et de mettre en cause l’ensemble du processus révolutionnaire pouvant conduire à ce que nos camarades du PCP souhaitaient à savoir l’instauration d’une « démocratie avancée » dans des conditions inédites au Portugal.

Ce fut aussi le cas lors des batailles pour l’adoption de la constitution portugaise, Le texte constitutionnel prévoyait l’instauration d’un régime social et démocratique au Portugal (avec la nationalisation des secteurs clés de l’économie, la réforme agraire, la reconnaissance d’un vaste ensemble de droits sociaux en faveur des travailleurs dans les domaines de la santé, l’éducation, la sécurité sociale, la culture…). Même si comme le disent nos camarades portugais, la Constitution d’Avril a été, pour une part importante vidée de son contenu transformateur, après des décennies d’application de politiques de droite et néolibérales, inscrites notamment dans les traités européens. Elle n’en reste pas moins un référent pour les travailleurs et le peuple portugais, garantissant encore d’importants droits politiques, économiques et sociaux. Cette Constitution garantit encore les principes d’un état de droit basé sur la souveraineté populaire.

Ce fut enfin le cas avec les luttes anti-coloniales. Les communistes français ont été très sensibles au caractère anticolonialiste de la lutte du peuple portugais pour se libérer du fascisme. Hautement symbolique et chargée de sens, cette solidarité, celle de tous les communistes du monde entier, s’exprima en lien avec ce que représentait Amilcar Cabral. Ce dirigeant du Parti africain de l’indépendance de l’indépendance de Guinée-Bissau et du Cap Vert, marxiste convaincu, s’est battu pendant plus de 25 ans pour la l’indépendance de son pays. Dès 1969 il s’exprima devant les caméras de la télévision française, pour dire combien, malgré la terreur exercée par la dictature salazariste contre les populations civiles de son pays, « celle-ci sera impuissante pour arrêter la marche vers la libération de son pays. » Après son assassinat en 1973 nombre de cellules du PCF prirent le nom d’Amilcar Cabral. Cette année 2024 marque le centenaire de la naissance d’Amilcar Cabral et il conviendra de faire vivre cette mémoire et l’actualité de ses combats.

La solidarité du Parti communiste français avec nos camarades communistes et les démocrates portugais fût des plus concrètes. Nombre de ses organisations, nombre de conseils municipaux,s’engagèrent concrètement.

Aujourd’hui et demain, défendre et faire vivre les valeurs d’avril, faire vivre les jours heureux !

L’offensive tous azimuts des classes dirigeantes, la pression sans cesse plus forte de l’ultralibéralisme, de l’atlantisme, le fait que l’extrême-droite cherche à dévoyer les colères sans aucunement rompre avec le système libéral capitaliste mais en divisant le monde du travail : tout cela fait partie de nos défis communs aujourd’hui, parce que ce sont ceux-là qui se posent au peuple français, au peuple portugais comme à tous les peuples européens.

Le PCP parle de défendre les valeurs d’avril. En France, nous avons l’héritage de la grande révolution de 1789 d’où a émergé la nation française, avec une conception de la nation démocratique, citoyenne et républicaine, et l’héritage de la résistance contre le fascisme, du programme du CNR, des conquêtes sociales réalisées à la Libération (sécurité sociale, statut de la fonction publique). Nous parlons des jours heureux.

Pour faire vivre les valeurs d’avril, pour faire vivre les jours heureux, pour donner du contenu à un projet d’émancipation sociale, démocratique, cela impose d’être à la hauteur des dangers de la situation.

En France, comme au Portugal, ces enjeux sont concrets et immédiats.

  • Avec un gouvernement belliciste, tellement belliciste qu’il s’en trouve isolé en Europe, qui n’exclut pas l’envoi de troupes en Ukraine, c’est-à-dire l’affrontement direct entre deux puissances nucléaires.
  • Avec un gouvernement qui reprend les principes de l’extrême-droite de priorité nationale, c’est-à-dire une rupture avec la conception de la nation issue de la Révolution française. La récente loi immigration dynamite les principes républicains. Le RN en France, qui rassemble un tiers de l’électorat, a un projet de rupture avec la République car la priorité nationale c’est une refondation de la société française sur des bases racistes.

La France, l’Europe sont à un point de bascule.

Faire vivre les valeurs d’avril, faire vivre les jours heureux, c’est plusieurs choses. Je vais développer la manière dont le PCF voit les choses pour notre pays, en résonance avec la situation européenne et internationale.

A/ Mener une politique de paix.

Pour combattre la montée du nationalisme agressif, générateur d’autoritarisme, de courses aux armements et de fanatisme ; pour combattre l’aiguisement des concurrences capitalistes, des compétitions des politiques de puissance.

Pour combattre la logique de blocs qui revient en force en Europe lorsque les pays de l’UE suivent les injonctions de Washington en augmentant les dépenses militaires, acceptent et mettent en œuvre le renforcement de l’hégémonie de l’OTAN sur l’Europe, OTAN, bras armé des Etats-Unis, et in fine se préparer à la guerre. Si Nicolas Sarkozy fût l’artisan de l’intégration de la France dans le commandement militaire de l’OTAN, ce sont l’ensemble des politiques et des renoncements poursuivies depuis par nos gouvernants successifs qui ont mené à l’engrenage de la guerre que nous connaissons actuellement.

Faire vivre les principes de la charte des Nations Unies qui engagent les Etats « à maintenir la paix et la sécurité internationale », à « régler par des moyens pacifiques, conformément aux principes du droit international, l’ajustement ou le règlement de différents ou de situations susceptibles de mener à une rupture de la paix ».

Prendre des initiatives politiques et diplomatiques concrètes. Pour un cessez-le-feu et une paix négociée en Ukraine, sur la base du respect de la souveraineté des peuples (du peuple ukrainien au premier chef qui lutte contre l’agression armée injustifiable du régime de Vladimir Poutine) et de la sécurité collective en Europe, pour tous les peuples européens. L’OTAN va à l’encontre de ces principes. C’est la raison pour laquelle la construction nécessaire d’un espace de sécurité collective en Europe, sur la base des principes des Nations Unies, doit se faire en toute indépendance de l’OTAN.

Réengager le processus de désarmement global et négocié, notamment par la ratification du traité TIAN de l’ONU.

B/ Agir pour la souveraineté des peuples et leur droit à l’autodétermination

Tous les peuples ont droit à la réalisation de leurs droits nationaux.

C’est le cas des peuples d’Afrique. Les exigences de 2e indépendance, c’est-à-dire de souveraineté dans tous les domaines : politique, économique, monétaire, militaire doivent être entendus ! les vestiges des politiques coloniales doivent être démantelés. C’est le cas des accords militaires entre la France et un certain nombre de pays d’Afrique, qui doivent être renégociés sur la base non plus d’un paternalisme néocolonial et de reflexe de domination, mais d’une véritable coopération d’égal à égal. C’est le cas du franc CFA, toujours affilié à l’euro. Assurer la souveraineté monétaire des pays de la zone CFA leur permettra enfin de prendre la main sur leur développement économique. Cela implique de mettre fin au franc CFA pour de véritables coopérations monétaires entre pays souverains.

Renouons avec le panafricanisme progressiste, celui de Thomas Sankara et d’Amilcar Cabral, qui se défie des essentialismes, et s’inscrit dans une lutte de classes et anti-impérialiste, pour des coopérations nouvelles entre peuples souverains qui ont des intérêts communs.
Comment ne pas penser également à la nécessaire réalisation des droits nationaux du peuple palestinien, alors que Gaza subit un massacre de masse et que l’ensemble du Proche et du Moyen Orient est assis sur un baril de poudre, alors que les puissances régionales et internationales veulent dénier aux peuples le droit de vivre selon les principes de la sécurité collective ? Pour un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza, pour la reconnaissance immédiate d’un Etat de Palestine par la France sur la base des frontières de 1967 aux côtés de l’Etat d’Israel.

C/ Agir en Europe pour la souveraineté démocratique des peuples

Les politiques néolibérales inscrites dans les traités européens enfoncent les peuples européens dans la crise. Elles maintiennent des rapports de domination internes à l’UE entre un centre et une périphérie qui les subissent. Il faut rompre avec cette logique de domination mise en œuvre par les politiques libérales. Il faut donc remettre en cause les traités européens. Les bourgeoisies européennes nous avaient promis la prospérité et la paix, on a la pauvreté et la guerre. Quel résultat ! et c’est pourtant le bilan de l’UE libérale capitaliste et des gouvernements nationaux qui conçoivent et mettent en œuvre de telles politiques ! Et quand les peuples protestent, on les ignore, ou pire, on les écrase. Cette UE s’est construite sans l’assentiment des peuples. J’en veux pour preuve le non français de 2005 qui a été bafoué par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel.

Une autre construction européenne est possible. Et nécessaire. Une union de peuples et de nations libres, souveraines et associées. Dans lesquelles les nécessaires coopérations entre peuples européens sont librement et démocratiquement consenties. Ce n’est pas d’une réforme de l’UE dont les peuples ont besoin. Mais bien d’une autre construction européenne.

Dans l’immédiat, s’opposer au retour des règles budgétaires qui soumettent les peuples au talon de fer de l’austérité.

D/ la République, la République sociale

1 actif sur 5 touche moins de 1400 euros par mois.

Alors que les 500 plus grandes fortunes françaises représentent 1170 milliards d’euros, soit 45% du PIB. Voila le résultat de la politique des bourgeoisies !

Cela pose la question des pouvoirs, de nouveaux pouvoirs et d’une nouvelle république.

C’est-à-dire : de nouvelles institutions politiques replaçant le peuple au cœur des décisions, rompant avec le système présidentialiste et bonapartiste de la Ve, alliées à la conquête de nouveaux pouvoirs de décisions pour les salariés dans les entreprises. Lier la souveraineté du peuple à la souveraineté du travail ! Nourrir ce processus de révolution démocratique du combat féministe et des luttes contre toutes les discriminations, contre le racisme et l’antisémitisme. Lier ces grands objectifs transformateurs aux moyens de financer et d’acquérir une nouvelle efficacité économique, une autre utilisation de l’argent public, des banques et des entreprises, ; par l’appropriation démocratique des banques et des groupes dominants des secteurs stratégiques.

Le socle du changement, c’est le monde du travail, parce qu’il représente les forces vives de la nation, parce que sa place dans l’économie lui confère les moyens d’unir autour de lui toutes les forces disponibles pour le dépassement des logiques capitalistes.

Voila ce qui pourrait aujourd’hui, en France, impliquer le fait de faire vivre les valeurs d’avril et faire naître de nouveaux jours heureux !
Pour cela, la solidarité internationale que montre cette rencontre d’aujourd’hui est très importante. Avec le PCP, notre solidarité, ce n’est pas simplement regarder le passé, c’est concevoir, en toute souveraineté et chacun avec son bagage propre, un chemin commun d’émancipation.

Vincent Boulet
membre du comité exécutif national du PCF
chargé des relations internationales