Colloque Outre-mer – Conclusion de Fabien ROUSSEL

Publié le 31 mars 2023

C’est avec un plaisir mais aussi avec une grande humilité que je prends la parole au terme d’une journée au cours de laquelle la diversité des interventions nous a d’abord beaucoup fait voyager !

Je souhaiterai remercier Pierre Lacaze, membre de l’exécutif national, chargé des élections mais à qui j’avais confié la mission d’organiser ce colloque. Bravo missions accomplie et bravo à Sonia Chane Kune mais également Nadine Tacitas qui ont également largement contribué à sa réussite.

Nous avons beaucoup voyagé mais si nous ne sommes pas allés jusqu’en Polynésie, c’est pour la bonne cause. Nos trois collègues députés sont en pleine campagne électorale. Nous les saluons fraternellement et leur disons tout notre soutien pour leur combat. Avec respect !

Cela faisait longtemps que je souhaitais une telle rencontre afin de réactualiser le projet communiste en lien avec les forces progressistes et les forces de gauche des outre mer, concernant l’avenir de leurs peuples, l’avenir de ces territoires et l’actualité de nos combats communs.

J’ai ressenti cette nécessité lorsque je me suis mis à votre écoute lors de la campagne présidentielle. 

Je le ressens toutes les semaines dans le cadre du travail que nous avons ensemble au sein du groupe GDR, ou dans le cadre des débats sur la réforme de nos institutions qui mobilisent aussi beaucoup nos collègues du Sénat.

Et je le dis humblement: nous ne sommes pas à la hauteur. Le PCF a pris du retard et aujourd’hui nous ne sommes plus en phase avec vos combats, avec les peuples d’Outre Mer.

Nous savons tous ici l’extrême dureté de la vie pour les familles, l’abandon de l’Etat, la situation sociale dégradée, les inégalités frappantes entre quelques riches propriétaires et la majorité des salariés, l’absence de perspective pour les enfants, ou encore l’accaparement du foncier par l’État, privant les collectivités d’investir dans la construction de logements, comme l’exprime Maurice Gironcel.

J’ai entendu la blessure que représente la parole d’un ministre qui ne reconnaît pas le rôle des esclaves dans leur libération ou cette colonialité, ce colonialisme existant encore, exprimé aujourd’hui par quasiment tous mes collègues députés dans tous les territoires. 

Comme cette autre blessure, intime, infligée à des enfants, quand ils sont empêchés de parler dans leur langue maternelle, dans leur langue natale, comme l’a raconté Karine Lebon.

Tout cela met en évidence la nécessité de remettre en perspective plusieurs grandes notions.
La première à réinterroger est celle de l’égalité républicaine qu’on a longtemps et largement identifiée à l’uniformité juridique et à l’assimilation.

Il est donc urgent de rappeler - et je remercie le Professeur Chicot de l’avoir fait - que ce grand principe républicain de l’égalité n’est pas apparu avec la loi de 1946 mais qu’il s’agit bien plus d’un trait majeur de l’histoire des Outre-mer.

Plus précisément, ce principe d’égalité légué par la Révolution française est autant l’héritier des conflits qui ont agité les colonies françaises, au 18° siècle, autour de la notion de citoyenneté.

Ce sont les esclaves qui, en arrachant leur liberté, en revendiquant l’égalité des droits, en obtenant ce qu’on appelait « l’égalité de l’épiderme », ont approfondi le contenu de la pensée républicaine et donné sa signification réelle et palpable à l’universalisme prôné par la République naissante. 

Simultanément au principe d’égalité a émergé les notions d’assimilation, d’autonomie, de particularités. 

Très vite, un lien s’est noué entre égalité et assimilation et nous sommes passés d’égalité à uniformité de la norme. Ce qui fut, à l’origine, une réaction contre la classe des colons est devenu un raccourci, que le gouvernement entretenait et qu’il ressortait pour faire du chantage, pour menacer, pour faire peur. Encore aujourd’hui, y compris au plus haut niveau de l’Etat, la menace est présente.

Nous avons en mémoire les récentes déclarations du Ministre de l’Intérieur qui assène avec morgue et ignorance qu’il faut savoir dire aux Ultramarins : « Vous n’aurez d’autonomie demain que si vous êtes capables de produire ce que vous mangez, ce que vous consommez comme électricité. Et c’est par la richesse économique que vous aurez des recettes. Ce n’est pas par des subventions. » Ces paroles d’un autre temps, je le dis avec force, n’ont rien à voir avec la république que nous défendons.

Derrière cette uniformité première qui humilie, bafoue vos droits, vos élus s’en cache une autre qui, elle aussi, perdure, tout au moins dans les esprits, dans les pratiques et dans les médias, malgré l’avènement du « statut à la carte », comme l’a montré avec pédagogie Véronique Bertile.

Cette seconde uniformité, c’est le regroupement de 12 pays différents sous une seule bannière et avec une appellation qui a contribué à l’effet de bloc : les DOM-TOM.

Qu’on tente de la remplacer par les « Outre-mer » ne change pas grand-chose ou bien peu à l’affaire, encore moins aux représentations qui sous-tendent ces intitulés. 

Corinne Mancé-Caster a ouvert là-dessus de larges pistes de réflexion que nous ne manquerons pas de saisir avec appétit.

Pour ma part, j’aime à parler de pays, de peuples sans que cela vienne contredire la notion de république. Notre République ne serait-elle pas plus belle si elle vous respectait dans tout ce que vous représentez, si elle respectait la diversité de vos peuples, la singularité de vos pays, le respect de vos choix démocratiques, le respect de vos terres, de vos mers. Oui, notre République sociale, démocratique, féminine, écologiste que nous voulons serait aussi plus riche si elle reconnaissait vos réalités linguistiques et culturelles si vivantes comme vos trajectoires historiques et mémorielles.

Mettre fin à cette double uniformité est un préalable indispensable si l’on veut distinguer les trajectoires forcément différentes qui s’expriment ; si l’on refuse résolument de réduire à leur plus petit, à leur plus basique dénominateur commun des réalités et des préconisations si particulières ; si l’on veut créer pour chacun de vos pays, de vos peuples, de vos territoires les conditions de leur propre développement.

C’est, je crois, le sens de plusieurs de nos collègues, du parti communiste martiniquais, comme de l’Appel de Fort-de-France de mai 2022. Un Appel pour que la nécessaire refondation des relations entre l’Etat et les Outre-mer soit un exercice placé sous le signe de la pluralité et, ainsi, capable de déboucher sur les multiples déclinaisons qu’il suppose.

Je remercie vivement la Présidente Huguette Bello, d’avoir pris le temps d’expliciter avec clarté les principes et les objectifs de cette démarche que nous soutenons.

Et nous serons présents quand viendra le temps d’en écrire les traductions législatives, notamment dans La loi fondamentale. Comment pourrait-il en être autrement ? Quarante ans après les grandes lois de décentralisation, vingt ans après la naissance de la République décentralisée, une nouvelle respiration est nécessaire. Et, comme souvent, vous occupez en la matière votre rôle de pionniers.

Le tableau précis que nos collègues députés et sénateurs de gauche et du groupe GDR ont brossé ce matin révèle une crise multiple qui n’épargne aucun secteur, aucun aspect de la vie. C’est là, à la fois, une crise ancienne, ponctuée à intervalles réguliers de manifestations de mécontentement et de poussées de violence, et une crise structurelle et systémique que la Covid et la guerre en Ukraine sont venues aggraver. Quand se former, se loger, se soigner est de plus en plus problématique pour de plus en plus de gens, il faut dépasser les logiques de rattrapage. Quand les deux plus grands déserts médicaux de France se trouvent en Guyane et à Mayotte, est-ce seulement le fruit du hasard ? 

Quand la vie chère est toujours plus chère, il est déraisonnable voire inconvenant d’attendre que les choses s’arrangent d’elles-mêmes au moyen de quelques rustines.

Quand l’eau, ce bien commun par excellence, redevient une source d’embarras quotidiens pour tant de familles, la résignation est un poison. Quand les inégalités s’aggravent et menacent la cohésion sociale, le statu quo devient le premier facteur de risques majeurs.

Sans nullement nier les acquis et les progrès issus de la loi de 1946, nous avons aujourd’hui à répondre à toutes ces urgences dans le respect de vos choix.

Il faut bien sûr parler aussi de la biodiversité. Elle est devenue une « préoccupation commune de l’Humanité ». Avec vous, elle est d’une richesse exceptionnelle au point de représenter 80% de la biodiversité française. Mais ce patrimoine naturel, qui a été, lui aussi, victime de l’exploitation extrême infligée à toutes les ressources par la colonisation, qui a été sacrifié à des fins de profit et de puissance comme nous le rappellent notamment et dramatiquement le scandale du chlordécone ou les essais nucléaires en Polynésie, est aujourd’hui très menacé. Puisque, du fait des Outre-mer, vous êtes l’un des « hauts lieux » mondiaux de la biodiversité. 

Nous avons ensemble une responsabilité importante mais surtout, aucun choix dans ce domaine ne doit être pris sans vous. Vous devez être au coeur de toutes les décisions vous concernant.

Oui, grâce aux Outre-mer, la France est la 2ème puissance mondiale et le seul pays au monde à être présent sur quatre océans, ce qui lui confère un pouvoir géostratégique de premier plan. Et pourtant, non, les élus, les habitants des Outre-mer n’ont toujours guère voix au chapitre. Pire, des normes aux coûts exorbitants des transports, tout est fait pour les enfermer dans un rôle de spectateurs de leur environnement régional.

A ce titre, il est grand temps que l’Union européenne, en accord avec sa propre politique pour le Grand Voisinage, favorise enfin véritablement l’insertion de vos pays dans leur zone géographique. Qu’elle vous associe aux accords commerciaux qu’elle signe avec les Etats voisins. Que les traités européens favorisent les échanges régionaux au lieu de les rendre impossibles. Les exemples abondent dans tous les domaines.

Mes chers amis, il est temps que les français reconnaissent l’importance et la singularité des Outre Mer.

Il n’est plus acceptable que vos territoires soient toujours enfermés dans des relations, des schémas issus de la colonisation.

Oui, vous avez mille fois raison de refuser d’être traités comme des pions dans les rivalités stratégiques des grandes puissances : je pense à la zone indopacifique, où tant de tensions se développent. La politique internationale de la France doit tenir compte de vous. Elle doit co-décider, co-élaborer avec vous. La Polynésie, comme La Réunion ont des liens historiques, économiques et aussi familiaux avec la Chine dont il faut tenir compte. 

Un point sur la jeunesse, l’avenir, ce sont eux !

De mieux en mieux formés et toujours plus informés, les jeunes accepteront de moins en moins de n’avoir pour alternative que le chômage ou l’exil, à moins que ce ne soit les deux à la fois. Leur refus sera plus d’autant massif que, dans le même temps, ils subiront les discriminations à l’embauche, y compris dans leur pays.

Statistiquement mesurée, la surreprésentation, dans l’encadrement, des salariés originaires de l’Hexagone est un sujet brûlant tandis que la question des affectations et des retours dans la Fonction publique enfle à bas bruit. Il est grand temps de regarder tout cela en face. Sans tabous, sans anathèmes.

Je tiens à annoncer, sur ce point, que notre Groupe GDR, par la voix d’Emeline K/Bidi, défendra un texte au début du mois de mai à l’Assemblée pour favoriser le recrutement et le retour des fonctionnaires ultramarins de la Fonction publique d’Etat dans leur territoire d’origine. 

La politique migratoire est un grand classique des pouvoirs publics pour gérer le marché du travail et réguler la démographie. Vous êtes nombreux, ici ou derrière les écrans, à l’avoir vécu de manière directe ou familiale, et à faire partie de ce qu’on a pu appeler le « cinquième DOM » (ou le 6ème). Entre installations durables et insertions impossibles, le bilan est contrasté, même s’il sera à jamais marqué par des épisodes dramatiquement irresponsables comme celui des enfants réunionnais de la Creuse. Mais, sur le plan de l’emploi, l’échec est patent : il suffit d’avoir en tête les taux de chômage dans tous les Outre-mer. Le déclin démographique des Antilles comme l’a rappelé Félix-Alain Flémin est, lui, une des résultantes les plus inquiétantes et pourtant prévisibles de cette migration organisée.

L’agenda social et politique, mobilisé par la réforme des retraites, est en train d’écrire sous nos yeux, en direct live, une grande leçon de démocratie : on ne gouverne pas sans le peuple. On ne gouverne pas contre le peuple.

C’est fort de ce viatique que le PCF accompagnera les prochaines échéances concernant les Outre-mer, ainsi qu’il l’a toujours fait, dans le respect des multiples configurations qui émergeront. 

Pour toutes ces raisons, et parce que la dialectique est une réalité qui a toujours compté dans cette enceinte, nous souhaitons être à vos côtés pour repenser ce nouveau droit des Outre-mer pour repenser l’Humanité qui nous rassemble.

 

Oui, comme l’a proposé mon collègue Marcelin Nadeau, il faut une convention bis du Morne rouge.

Oui, nous voulons écrire avec les parti communiste, progressistes des territoires d’Outre Mer, le projet communiste et la Vième République qui sera sociale, écologiste, laïque, féministe, démocratique.

Nous voulons écrire les contours de cette nouvelle République en inscrivant vos pays, vos peuples, la singularité de vos territoires, la singularité de votre histoire dans la poursuite des luttes anticoloniales qui nous ont rassemblé, pour la libération totale de la classe ouvrière.

Nous le ferons dans le dialogue et dans le respect de vos choix et de notre aspiration commune à vivre ensemble, et à vivre libres ensemble en garantissant la stricte égalité de droits sociaux et politiques à chaque citoyen.ne de cette nouvelle République.