Le 2 avril 2025, Trump a momentanément déclaré la guerre commerciale au monde.
Ce coup de pression a deux objectifs complémentaires : donner un nouvel essor industriel au pays et renégocier les termes commerciaux de ses relations bilatérales. Cette politique est néanmoins intimement liée à la question du dollar états-unien, la monnaie de référence mondiale. Le coût qui découle de cette hégémonie monétaire est historiquement, pour le pays émetteur, d’assumer un déficit commercial à toute épreuve pour diffuser sa monnaie sur les marchés financiers mondiaux.
Droits de douane et hégémonie du dollar
La montée en puissance de la Chine, et plus largement des pays en développement des BRICS+, remet en question cette hégémonie. Les États-Unis sont dorénavant confrontés à une contradiction fondamentale : dépendant des capitaux du reste du monde, ils voient le reste du monde devenir de moins en moins dépendant d’eux. Le capital américain et ses différentes fractions cherchent alors leur place dans ce nouvel ordre mondial qui couve.
Le choix de Trump est alors d’user du pouvoir du marché américain et de faire baisser la valeur du dollar pour doper les exportations et financer le capital industriel qui l’a élu, en rassemblant sa base électorale dans la ceinture de rouille. La réaction de grande ampleur du capital financier sur les bourses et les bons du Trésor ne s’est pas fait attendre et a mené à la pause forcée des tarifs douaniers. Trump a néanmoins réussi son coup en faisant baisser le dollar à son plus bas niveau depuis le début de la guerre en Ukraine et en entamant des négociations avec une grande partie du « monde libre ». Celui-ci doit dorénavant participer à ce revirement en substituant les importations actuelles par des produits des États-Unis, et en participant aux dépenses militaires. Au niveau national, ce nouvel équilibre vacillant rend d’autant plus lourd le déficit structurel qui dépendait de la confiance aveugle des marchés financiers mondiaux. Cela explique la volonté actuelle de coupes budgétaires sans précédent dans l’État fédéral américain.
Reste la question : est-ce que le dollar et son hégémonie peuvent survivre à un tel changement, ou est-ce que Trump laisse la voie libre à une nouvelle organisation des alliances mondiales, autant commerciales que diplomatiques, voire à une nouvelle monnaie de référence?
Luttes internes
Dans le pays, la résistance s’organise, mais peine à prendre forme et à incarner un contenu de classe. De grandes manifestations contre l’oligarchie Trump-Musk ont été organisées le 5 avril, mais avec des mots d’ordre très variés autour de l’appel encore plus flou de « Bas les pattes ».
Dans la logique de l’affaiblissement des organisations de la classe travailleuse, mais aussi pour dégager des ressources fédérales, Trump a signé un décret rendant caduque la plupart des conventions collectives des travailleurs fédéraux. Un réseau de syndicalistes soutenus par les grands syndicats s’est mis en place et mène la riposte contre cette attaque et les coupes budgétaires très importantes au niveau de l’État fédéral. Notons que l’emploi gouvernemental représente 50 % des syndicalistes dans le pays. C’est ici le futur du mouvement syndical qui est en jeu, en plus de ce qui reste de l’État social américain.
Particularité du syndicalisme industriel
Nous nous rappelons du choix des Teamsters, plus grand syndicat du secteur privé composé de routiers et de travailleurs de la logistique, de ne pas soutenir la candidate démocrate lors du scrutin. Rappelons que les ménages syndiqués n’avaient jamais autant voté républicain lors de l’élection de 2024 que depuis le raz-de-marée Reagan. C’est dorénavant au tour du syndicat de l’industrie automobile, l’UAW, de soutenir de manière ciblée la politique de Trump, dont d’abord et avant tout ses guerres commerciales.
Les syndicats industriels américains doivent trouver un équilibre entre la critique des politiques antisociales de l’administration actuelle et un soutien au retour vers le protectionnisme manufacturier qu’ils demandent de longue date. Ils font donc le pari risqué d’une alliance économique entre le capital industriel et la fraction ouvrière pour réindustrialiser main dans la main et partager les gains de ce revirement. Un positionnement qui fait fi des antagonismes de classe très profonds dans le pays, et qui paie le prix des contradictions entre fractions du capital. Ce dernier se divise sur les moyens de sortir de la crise entre partisans d’un capitalisme fondé sur des barrières douanières ou sur le libre-échange.
Alec Desbordes
membre de la commission des Relations internationales,
en charge du suivi des États-Unis
Article publié dans CommunisteS, numéro 1038 du 16 avril 2025.