Le tropisme libéral du RN

Publié le 19 juin 2024

Ainsi Bardella revient sur l’engagement de son parti d’abroger la réforme des retraites. Le retour à la retraite à 60 ans était pourtant une promesse phare de Marine Le Pen pendant la campagne présidentielle de 2022. Il faut se souvenir de ce qu’elle disait de la réforme Macron : « Rien n’est à retenir dans ce système des retraites. J’ai envie de dire que tout est à jeter. Il va y avoir des pertes qui vont être très importantes pour des millions de Français. » Mais l’abolition de cette réforme ne figurera pas sur la plateforme programmatique du RN pour les législatives.

Ce nouveau glissement libéral s’ajoute à toute une série d’« évolutions » que le chercheur Gilles Ivaldi pour le Cevipof avait pointé en son temps. Il avait montré comment le RN avait retiré de son programme des éléments tels que la promesse de préserver le statut de la fonction publique, ou l’augmentation générale des salaires des fonctionnaires via le point d’indice, ou l’engagement de refuser toute hausse de la CSG, ou la baisse de 10 % de l’impôt sur le revenu sur les trois premières tranches, ou le retrait de la loi Travail ou le maintien des 35 heures. Etc.

Cette ligne libérale de plus en plus affirmée (confirmée par les votes des parlementaires d’extrême droite refusant de taxer les superprofits ou les dividendes par exemple) coïncide avec la multiplication des contacts ces dernières années, ces derniers mois entre le groupe dirigeant du RN et le grand patronat. Il semble loin le temps où le Medef se faisait houspiller pour avoir invité à son université d’été Marion Maréchal (c’était en 2019).

À présent les relations sont nombreuses, répétées, durables. Les contacts entre les « managers » et les cadres et élus RN prolifèrent. « Ils se disent (ces patrons, NDLR) qu’ils doivent, dans leurs responsabilités, faire la démarche de mieux les connaître et d’établir des contacts, ce qu’ils ne faisaient pas avant », constate Arnaud Dupui-Castérès, patron du cabinet Vae Solis. Et puis la porosité est dans les deux sens. Le RN est plus attentif aux exigences patronales alors que de plus en plus de patrons regardent, séduits, ce parti et y adhérent. Dans un article récent du Figaro (12 juin) on pouvait lire que « le vote RN s’est développé chez les chefs d’entreprise ». Lesquels manifestement ont plus peur du programme de la gauche que de celui de Bardella.

Et on commence déjà à banaliser la situation, à normaliser les choses. Le même article du quotidien du groupe Dassault fait dire à Michel-Édouard Leclerc qu’il existe un fossé entre le bruit médiatique fait autour des élections et la vie des entreprises. Il parle « d’une réceptivité plutôt sereine des collaborateurs dans les magasins (du groupe) ainsi qu’au niveau des sièges ». Bref, tout va très bien madame la marquise puisque, comme l’écrit le journal L’Opinion, « si le RN arrive aux affaires, ce sont les patrons eux-mêmes qui établiront les règles de l’économie ».

Gérard Streiff

Article publié dans CommunisteS, n°1001, 19 juin 2024.