Au printemps 1985, il y a très exactement quarante ans, la lutte des ouvriers de l’entreprise SKF d’Ivry allait connaître son point culminant : dans la nuit du 4 au 5 juin, en effet, plusieurs centaines de syndicalistes, de salariés réoccupaient l’usine, envahie quelques jours plus tôt par les CRS et ils tenaient « leur » entreprise, plusieurs heures durant, face à une véritable armada policière.
Comment en était-on arrivé là ?
L’entreprise SKF d’Ivry était une usine de pointe dans le roulement à billes, 600 salariés, un syndicat CGT très majoritaire, une organisation communiste très présente et un entourage populaire fort.
En 1983, les actionnaires suédois décident purement et simplement de sa fermeture afin de délocaliser la production, notamment vers l’Italie et l’Espagne. La nouvelle sidère les ouvriers, en majorité des ouvrières, qui se mobilisent aussitôt. Elle sidère la municipalité confrontée depuis des années par des vagues de fermetures d’usines et des pertes d’emplois par milliers.
Arrive l’été, on craint un mauvais coup du patronat et l’usine est sous haute surveillance du personnel. Et puis on espère que la décision de l’Inspection du travail, à la rentrée, va contredire le choix de la direction. Car enfin, la gauche est au pouvoir, depuis 1981, et elle a son mot à dire. Du moins on le croit. Or l’inspection et donc le ministère de l’Industrie alors dirigé par Laurent Fabius approuvent les actionnaires. Alors c’est la guerre. L’occupation est votée, elle va durer près de deux années. Deux années pendant lesquelles les salariés vont multiplier les propositions alternatives, ainsi que les initiatives de lutte (voyages en Suède, manifestations, colloques, journées portes ouvertes, etc.). Durant ces longs mois, une sorte de « communauté » ouvrière s’installe dans et autour de l’usine, avec la solidarité très active de la ville, du département, des députés communistes du Val-de-Marne. Georges Marchais s’engage tout particulièrement dans cette action.
Mai 1985 : à l’aube du 28 mai, les CRS envahissent l’entreprise. Cette menace était dans l’air depuis des mois. La mairie fait donner sa sirène, l’église sonne ses cloches, les gens sont dans la rue. Les syndicalistes, les salariés prennent cette intervention pour un affront et ils « reprennent » les bâtiments le 5 juin au petit matin : ils tiennent les lieux une matinée entière avant d’en être rudement chassés.
Ce mouvement social, qui bouleverse la ville et le département, va connaître un profond retentissement national. Son souvenir est resté vivace à Ivry (une fresque murale rend hommage aux ouvrières notamment) et demeure un « cas d’école » pour plusieurs raisons : c’est l’histoire d’une dignité ouvrière, c’est celle d’une formidable bataille contre la désindustrialisation ; celle aussi d’un puissant mouvement de solidarité et celle enfin de la gauche au tournant de la rigueur.
Et puis elle pose en grand, aujourd’hui encore, la question des pouvoirs d’intervention des salariés à l’entreprise.
Gérard Streiff
Le livre La légende SKF sort aux Éditions du Petit Pavé (St-Jean-des-Mauvrets 49320).
Article publié dans CommunisteS, numéro 1033 du 12 mars 2025.