Ukraine : faire de 2025 l’année de la paix

Publié le 08 janvier 2025

Il y a peu de certitudes pour 2025, mis à part le fait que ce sera une année charnière pour le conflit ukrainien, dans la perspective d’une ouverture, très incertaine, de négociations de paix, ou, au moins, d’une fin d’opérations d’envergure annonçant un possible gel du front et d’un cessez-le-feu sans règlement global (ce qui n’est pas la même chose).

La question clé est : sera-t-elle l’année de la paix ou bien, comme le porte la nouvelle présidence polonaise du conseil de l’UE, celle de « l’avant-guerre » ?

Dans cette incertitude, une période de dangers s’ouvre. Chacun des acteurs va être tenté de pousser la situation à son avantage, sur fond d’exacerbation des contradictions des classes dirigeantes du fait de l’élection de Donald Trump portant un projet de recomposition globale des rapports de force au bénéfice d’un impérialisme américain recomposé et de la fraction du capital libertarien et autoritaire qu’il représente.

Les conséquences de l’investiture de Trump sont majeures. La démission du premier ministre canadien Justin Trudeau ou encore les ingérences brutales d’Elon Musk dans les affaires intérieures allemandes et britanniques le montrent. Sur l’Ukraine, les initiatives que son administration est susceptible de prendre sont pour l’instant incertaines. Son représentant spécial sur les questions russe et ukrainienne, Keith Kellog, qui se fait gloire d’avoir participé à l’invasion du Panama en 1990, est attendu en Europe dans les prochaines semaines. Pour porter quelles propositions ? Pour le moment, les deux seules idées concrètes qui ont été portées par la future administration Trump ont été rejetées par Moscou. Il s’agit de l’envoi d’une force européenne de maintien de la paix en Ukraine et du gel du conflit sur les positions actuelles. L’injonction de Trump, formulée le 7 janvier, faite aux pays de l’OTAN à porter leurs dépenses militaires non plus à 2 % mais à 5 % indique une volonté non pas de désengagement mais de répartition des tâches dans une démarche de recomposition des modes de domination de l’impérialisme américain sur l’Europe.

La nouvelle période du conflit en Ukraine se définit donc par les contradictions nouvelles ouvertes au sein des classes dirigeantes occidentales. Le discours de Macron aux ambassadeurs délivré le 6 janvier le montre, en reconnaissant que des compromis territoriaux sont possibles, tout en disant que seul le gouvernement ukrainien doit choisir et en appelant au renforcement de l’aide militaire à l’Ukraine.

Les tentations en Europe de franchir un nouveau pas dans un engrenage de bloc sont fortes. La présidence polonaise de l’UE fait de la défense européenne une priorité en l’orientant dans cette logique. L’intensification de l’aide militaire à l’Ukraine en franchissant de nouvelles lignes rouges est un risque important. Les premiers Mirage français sont attendus dans les prochaines semaines. Il faut rappeler notre opposition à l’envoi de telles armes à l’Ukraine. Le piètre bilan des F-16 envoyés par le Danemark et les Pays-Bas montre d’ailleurs que cela ne sert à rien. Par ailleurs, le renforcement des coopérations industrielles entre l’Ukraine et la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) est également discuté, ce qui serait un nouveau pas dans l’engagement de l’UE dans le conflit pour le plus grand intérêt des marchands de canons, sans que cela ne serve les nécessaires capacités de défense des divers pays européens. Le risque de poursuivre une telle politique d’enfermement, dans le soutien à une guerre sans fin, soulève un danger stratégique majeur : celui de voir la sécurité des peuples européens décidée par d’autres.

En Russie, l’heure est également à l’incertitude. Le pouvoir peut se prévaloir de succès sur le front (chute d’Ougledar dans le Donbass méridional en octobre dernier et grignotage continu des lignes de défense ukrainiennes, au prix cependant d’un lourd bilan humain et matériel) et d’une économie qui offre une croissance maintenue à 4 %, à comparer aux 1 % de moyenne dans l’UE. La situation économique est meilleure que ne le spéculent nombre de commentateurs en Occident où les préjugés russophobes ont la vie dure. De même, l’isolement de la Russie est un mythe. L’accord de partenariat stratégique global qui devrait être signé avec l’Iran fin janvier le montre. Mais, d’un autre côté, ce même pouvoir russe peine toujours à juguler l’inflation et le dérapage du rouble. Surtout, il doit faire face à plusieurs évènements contrariants : effondrement de la dictature d’Assad (ce qui ne signifie d’ailleurs pas la fin de la présence russe en Syrie), affaiblissement de l’Iran, fin du transit gazier à travers l’Ukraine, alors que Gazprom est une véritable vache à lait pour une économie capitaliste périphérique de rente comme l’est la Russie (le récent développement de divers secteurs industriels et agricoles ne remet pas en cause le caractère dépendant du capitalisme russe pour le moment). D’autres évènements sont passés plus inaperçus : la crise avec l’Abkhazie, le black-out énergétique en Transnistrie (conséquence de l’arrêt du transit du gaz russe en Ukraine). Cela pose une question : la Russie est-elle capable de défendre ses alliés ? La situation militaire n’offre pas de perspective de victoire stratégique, à moins d’une rupture du front qui de toute évidence tarde à venir. La conurbation Slaviansk-Kramatorsk (Donbass septentrional) reste sous le contrôle de Kiev. L’heure n’est donc en rien à crier victoire. La prudence des deux conférences de presse du 26 décembre, celle de Vladimir Poutine et celle de Sergueï Lavrov, le montre.

En Europe, comme à Washington et à Moscou, les forces qui plaident pour une rupture totale des relations entre la Russie et l’Occident sont nombreuses. Ce n’est pas forcément contradictoire avec les appels au cessez-le-feu. Car il y a un malentendu à lever. Un cessez-le-feu impliquant simplement le gel des positions, sans initier de négociations de paix mais ouvrant au contraire la porte à une possible adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ou à l’envoi de troupes européennes, n’est pas la paix et crée, au contraire, les conditions d’un conflit futur encore plus grave.

Et pourtant, une voie, étroite, existe. C’est celle que la France et l’UE refusent d’emprunter.

Une voie qui impose d’agir en toute indépendance de l’OTAN et, ajoutons-le, de la Commission européenne. Au lieu d’être tétanisée par Trump, il importe de prendre enfin une initiative politique et diplomatique, ouvrant la voie d’une solution négociée au conflit et à ses causes, sur la base non pas d’un raisonnement par bloc, qui est celui porté par la Commission européenne et une large partie des bourgeoisies européennes, mais au contraire de l’application des principes de sécurité collective en Europe. 2025 marquera les 50 ans de l’acte final de la déclaration d’Helsinki. Ce qui a été possible en pleine guerre froide l’est encore aujourd’hui. Là sera le chemin pour la paix.

Article publié dans CommunisteS, numéro 1024 du 8 janvier 2025.