50e anniversaire de la Révolution d’Avril 1974
Paris, 18 avril 2024 section du 20e arrondissement du PCF
Intervention de José CORDON
(commission des relations internationales du PCF)
Un mouvement qui n'est pas tombé du ciel
Au lendemain du soulèvement militaire du 25 avril 1974, Alvaro Cunhal, secrétaire général du PCP, donnait une interview à l’Humanité :
« Le mouvement militaire victorieux du 25 avril, disait-il, est l’aboutissement d’un long processus où sont intervenus, comme facteurs déterminants, la crise interne du régime fasciste, les conséquences économiques, sociales et politiques de la guerre coloniale, l’isolement et la condamnation internationale du fascisme et du colonialisme portugais, les succès des mouvements de libération en Guinée Bissau, au Mozambique et en Angola et le grand essor de la lutte du peuple portugais ».
« Si l’on ne tient pas compte de tous ces facteurs, du rétrécissement progressif de la base d’appui du fascisme, ainsi que de l’amplitude et du niveau atteints par le mouvement démocratique et populaire, on ne peut comprendre, ni l’action du 25 avril, ni la rapidité des évènements qui l’ont immédiatement suivi ». (L’Humanité 29-04-1974).
Un des facteurs essentiels de ces évènements a donc été que le soulèvement militaire, minutieusement préparé, depuis des mois voire des années, ait pu trouver un appui décisif dans l’essor du mouvement populaire contre la dictature fasciste.
En France, comme dans d’autres pays européens, il fallut assez vite donner un écho solidaire à ce qui se passait au Portugal.
Il y eu bien sûr le rôle de l’Humanité, de ses envoyés spéciaux, pour informer sur la situation notamment lors du Premier mai 1974.
Mais aussi, dès les premiers mois ayant suivi le 25 avril 1974, le Mouvement des forces armées (MFA) du Portugal et le Parti communiste portugais, confièrent a UNICITE (collectif Unité, Cinéma, Télévision, Audiovisuel), créé par le PCF au début des années 1970, l’ensemble des documents tournés entre la chute de Caetano le 25 avril et le 1er mai 1974.
A partir de ce matériel, Unicité réalisa un film qui fût présenté pour la première fois à Paris au meeting de soutien au peuple portugais, le 20 juin 1974. Ce film fût largement diffusé depuis en direction des organisations démocratiques ainsi que de l’immigration portugaise en France (ce film de 54 minutes est consultable sur Ciné-Archives, Fonds audiovisuel du PCF).
La révolution d’Avril ouvrit donc un processus de conquêtes de droits sociaux et démocratiques, tout comme elle mit fin aux guerres coloniales, en reconnaissant le droit à l’autodétermination et à l’indépendance des peuples colonisés d’Afrique australe.
Ce processus de retour de la démocratie ne fût pas linéaire. Les tentatives d’involution du processus démocratique furent constantes dans les presque deux ans qui suivirent le 25 avril 1974.
Quelques dates
Le 28 septembre 1974, les forces contre-révolutionnaires regroupées autour du Général Antonio Spinola, souhaitent reprendre en main le pays et s’imposer au sommet de l’État. Spinola appelle à la mobilisation de la « majorité silencieuse » des Portugais contre l’agitation sociale qui se manifeste dans le pays.
Le 11 mars 1975, le processus révolutionnaire connaît une forte accélération à l’issue du coup d’État avorté mené par des unités militaires proches de l’extrême droite. La vigilance des troupes du MFA et la mobilisation populaire empêchent la réalisation de ce « vaste plan contre-révolutionnaire » comme le qualifia à l’époque Alvaro Cunhal qui était ministre d’État dans le gouvernement.
L’été 1975 est marqué par de fortes tensions notamment dans le nord du Portugal. Une vague de violence anti communiste se déclenche dans tout le pays (centres de travail du PCP et sièges syndicaux sont attaqués). Cette période sera qualifiée « d’été chaud». Les relations entre le Parti socialiste et le Parti communiste portugais se dégradent.
Vasco Gonçalves, Premier ministre de quatre des six gouvernements provisoires de juillet 1974 à juillet 1975, militaire profondément progressiste et proche des communistes est écarté du gouvernement.
Le 25 novembre 1975, une nouvelle tentative de coup de force se produit. Les forces réactionnaires profitèrent d’une tentative de soulèvement de l’extrême gauche militaire, pour en finir une fois pour toutes avec la Révolution. Ils n’y parvinrent pas ou pas totalement.
Le 2 avril 1976, la Constitution de la République est promulguée et entre en vigueur. Lors des premières élections législatives du 25 avril 1976, le PS obtient 35% des suffrages, la droite (Parti populaire démocratique) 24% et le PCP 14%.
La solidarité du PCF
Le processus mis en œuvre par la révolution d’Avril, ses premières décisions et acquis progressistes se sont heurtés à l’offensive et aux tentatives de la droite la plus réactionnaire de vouloir changer la donne du pays et de mettre en cause l’ensemble du processus révolutionnaire pouvant conduire à ce que le PCP souhaitait à savoir l’instauration d’une « démocratie avancée » dans des conditions inédites au Portugal.
Le texte constitutionnel prévoyait l’instauration d’un régime socialiste et démocratique au Portugal (avec la nationalisation des secteurs clés de l’économie, la réforme agraire, la reconnaissance d’un vaste ensemble de droits sociaux en faveur des travailleurs dans les domaines de la santé, l’éducation, la sécurité sociale, la culture…)
Cette offensive de la droite et de l’extrême droite qui n’avait pas rompu avec le salazarisme fût relayée par la presse audiovisuelle et la droite européenne - et -en partie- par la social-démocratie - qui agitaient le spectre de la guerre civile et de la « chasse aux sorcières » contre les communistes.
La solidarité du Parti communiste français avec nos camarades communistes et les démocrates portugais fût des plus concrètes.
Nombre de ses organisations, nombre de conseils municipaux, comme celui d’Ivry-sur-Seine, « exprimèrent cette solidarité pour sauvegarder et développer les libertés démocratiques dans un pays libéré de la dictature fasciste ».
« Au-delà de la réaction portugaise, ce sont en effet toutes les forces réactionnaires qui souhaitent un bain de sang au Portugal, car elles y voient un moyen de porter un coup à l’ensemble du mouvement démocratique en Europe occidentale, à toutes les forces qui luttent pour la démocratie et le socialisme dans le monde, en même temps qu’elles entendent garder le Portugal comme une base d’agression de l’impérialisme ». (Résolution du conseil municipal d’Ivry 21-08-1975).
En effet, après l’écrasement dans le sang par Pinochet et la CIA de l’expérience démocratique chilienne en septembre 1973 ; la Révolution d’Avril au Portugal laissait entrevoir une lueur d’espoir pour les peuples et les forces démocratiques d’Espagne, de Grèce engagés dans des processus de mise à bas de leurs propres dictatures. Comme au Portugal, les communistes y prirent une place décisive.
Mettre fin aux guerres coloniales et au colonialisme
Une autre particularité importante de la Révolution d’Avril fût ses caractéristiques de mouvement anticolonialiste et antiimpérialiste.
Guerre coloniale engagée - dès 1961- par la dictature de Salazar contre les peuples du Mozambique, d’Angola et de Guinée-Bissau notamment.
Le « mouvement des capitaines » d’avril qui se développa à partir de juillet 1973 et qui a fourni la base militaire organisée du soulèvement d’avril, traduisait, d’une part, les contradictions et conflits intérieurs du régime au niveau des officiers de carrière ; et d’autre part l’adhésion d’un nombre croissant d’officiers d’active, liés aux revendications fondamentales du mouvement démocratique.
Politiquement, ce mouvement était très hétérogène. Mais l’idée qui finit par l’emporter dans de larges réunions d’officiers fût que les forces armées devaient intervenir pour mettre fin à la guerre coloniale et au fascisme.
Toute cette situation explique le succès foudroyant du MFA et le mandat qu’il donna à la Junte de salut national de rétablir les libertés et d’organiser des élections libres à une Assemblée constituante.
Tout cela, qui était lié aussi au travail entrepris par le PCP d’organisation de la résistance populaire dans la métropole, dans les dures conditions répressives imposées par la dictature ; explique l’impressionnante manifestation du premier mai 1974 et les mesures immédiates qui donnèrent satisfaction à des revendications importantes du mouvement démocratique et la participation active des masses, leur soutien aux premières mesures de caractère démocratique.
Les communistes français ont été très sensibles au caractère anticolonialiste de la lutte du peuple portugais pour se libérer du fascisme.
Hautement symbolique et chargée de sens, cette solidarité, celle de tous les communistes du monde entier, s’exprima en lien avec ce que représentait Amilcar Cabral.
Ce dirigeant du Parti africain de l’indépendance de Guinée-Bissau et du Cap Vert, marxiste convaincu, s’est battu pendant plus de 25 ans pour l’indépendance de son pays. Dès 1969, il s’exprima devant les caméras de la télévision française, pour dire combien, malgré la terreur exercée par la dictature salazariste contre les populations civiles de son pays, « celle-ci sera impuissante pour arrêter la marche vers la libération de son pays. »
Après son assassinat en 1973, nombre de cellules du PCF prirent le nom d’Amilcar Cabral.
La Révolution d’Avril 1974 a montré que les luttes de libération nationale des peuples africains, le droit à l’indépendance, à la souveraineté et au développement –un des trois D inscrits dans le programme du MFA (Démocratie, Décolonisation, Développement) ne furent pas vains et contribuèrent d’une manière décisive à l’écroulement du fascisme au Portugal.
La France a eu sa propre expérience du colonialisme. Les communistes français en ont tiré les leçons à plusieurs reprises et notamment en 2012 lors du 50e anniversaire de l’indépendance des pays ayant été soumis à la loi implacable du colonialisme français.
Depuis plus de 60 ans, les mouvements progressistes et révolutionnaires africains, en lutte contre les nouvelles formes d’un néocolonialisme oppresseur, ont connu des moments d’espoir.
Nelson Mandela en Afrique du Sud, Thomas Sankara au Burkina Faso ont donné force et sens à nos combats et valeurs communs.
Mettre fin aux guerres coloniales criminelles et au colonialisme, libérer le Portugal de la domination de l’impérialisme étaient des objectifs fondamentaux de la révolution antifasciste d’Avril 1974.
Ce sont des objectifs que nous nous devons de rappeler et de porter ensemble, en cette année de célébration des 50 ans de la Révolution d’Avril, alors que perdurent voire s’intensifient les formes d’intervention des forces impérialistes avec leurs objectifs fondamentaux de soumission des peuples d’Afrique et d’Europe à la « mondialisation » capitaliste et impérialiste ; y compris par la guerre et la généralisation de l’intervention de leur bras armé l’OTAN.
Nous en savons quelque chose dans notre pays avec les conséquences désastreuses pour les peuples de l’ensemble des pays du Sahel notamment, de la participation de la France à l’intervention en Libye sous l’égide des États-Unis et de l’OTAN, en 2011.
Si Nicolas Sarkozy fût l’artisan de l’intégration de la France dans le haut commandement de l’OTAN, ce sont l’ensemble des politiques poursuivies depuis par nos gouvernants successifs qui ont conduit à cette fuite en avant atlantiste, à tel point qu’un de nos porte-avions passe aujourd’hui sous commandement direct de l’OTAN.
Plus généralement, toutes ces politiques néo-libérales, toujours plus prédatrices des ressources de la planète, plus destructrices pour le développement humain, ont eu d’énormes conséquences pour les peuples d’Afrique et d’Europe. Les politiques néolibérales et militaristes exercées dans le cadre des Institutions européennes ont impacté notamment les politiques migratoires soumises à la loi d’airain de l’« Europe forteresse ».
La Constitution d’Avril a été, selon le PCP, pour une part importante vidée de son contenu transformateur, après des décennies d’application de politiques de droite et militaristes, inscrites notamment dans les traités européens.
Elle n’en reste pas moins une des constitutions les plus progressistes en Europe, un référent pour les travailleurs et le peuple portugais, garantissant encore d’importants droits politiques, économiques et sociaux et les principes d’un état de droit basé sur la souveraineté populaire.
C’est pourquoi en cette année de 50e anniversaire de la Révolution d’Avril, nous nous devons d’inscrire les valeurs d’avril dans nos combats immédiats exigeant des ruptures profondes avec les politiques ultralibérales ; d’agir pour des politiques de coopération et de Paix en Europe et dans le monde ; pour que les valeurs d’Avril portent un espoir commun d’alternatives progressistes pour nos deux peuples.